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La facilité de commerce, la gaieté, s’appellent fort injustement du sans-gêne et de l’insolence. Aussitôt qu’un Napolitain s’approche d’un groupe de Siciliens, on s’entend pour le tromper et le railler. Cette hostilité perpétuelle finit par le faire sortir de son caractère, naturellement bon. Il devient susceptible et méchant malgré lui, comme notre ami Vincenzo. Pour peu qu’un sujet particulier de haine ou de jalousie, une rivalité d’amour, par exemple, vienne se joindre à ces préventions générales, deux hommes qui se connaissent à. peine se trouvent ennemis acharnés, et se jouent les plus mauvais tours possibles. Voilà où en sont don Vincenzo et Dominique.

— La jalousie, dis-je, est un sentiment sauvage qui m’intéresse peu ; sans cela, je vous prierais de me raconter l’histoire de cette rivalité d’amour.

— Je puis vous la présenter d’un point de vue sympathique, en vous racontant l’histoire de la beauté par qui la guerre fut allumée.

— A la bonne heure ! Je ne vous quitte plus que vous ne m’ayez fait ce récit.

La musique du régiment se rendait à la promenade, où l’attendait un essaim de jolies femmes. Nous nous assîmes près de la Flora, dont les plantes exotiques parfumaient l’air, et, tout en écoutant le concert d’un peu loin, M. A. R. me raconta en ces termes l’histoire du bonacchino Dominique et de la belle Pepina.


II

Quiconque observe ce qui se passe autour de lui sait, après quelques heures de séjour à Palerme, qu’on n’y songe guère à autre chose qu’à l’amour. Le climat le veut ainsi. Nous sommes à vingt lieues de l’Afrique, sous le même degré que l’Andalousie, sur la terre la plus généreuse du monde, dans une espèce de paradis, où l’homme n’a qu’à se laisser vivre pour être heureux. Ce n’est pas en vain que le proverbe dit : Palermo felice. Sauf deux ou trois jours par mois où le souffle énervant du sirocco vient changer le bien-être en abattement, il n’y a point de pays où l’on se sente plus constamment dispos de corps et d’esprit.

On distingue aisément parmi les habitans deux races diverses : l’antique sang de la Sicile et le sang espagnol ou mauresque. L’élément normand est plus rare ; mais on le reconnaît encore dans certaines parties de l’île. À Palerme, ces nuances n’existent guère que dans le sexe masculin. Les femmes sont restées Siciliennes, et leur race se perpétue avec une pureté que je ne saurais expliquer. La plupart sont grandes, sveltes, nobles dans leurs attitudes. Elles ont les traits réguliers, des profils de médaille, des mains et des cheveux admirables,