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craindre d’un homme qui risquerait la chaîne et l’habit jaune sur un signe de votre main ? Ce matin, j’ai cru que la madone me protégeait. Un riche armateur a mis une barque à ma disposition pour la pêche du corail. Dans trois jours, je ferai voile pour les côtes d’Afrique. Ce mouchoir m’aurait porté bonheur ; celui qui a tiré de l’eau le roi des thons pouvait découvrir une forêt de corail et rapporter dans sa barque une fortune qu’il vous aurait offerte. C’était un songe. N’ayant plus ni son talisman ni votre bénédiction, le pêcheur tombera dans les mains des Arabes, qui le vendront comme une bête de somme.

— Que de courage ! que de patience ! que de dévouement ! murmura la jeune fille avec une émotion profonde. Non, je ne puis te refuser ma bénédiction et le talisman d’où dépend ta fortune. Reprends ce gage de mon estime, car tu caches le cœur d’un paladin sous ta veste de pêcheur. Va, tu découvriras la forêt de corail, si le ciel écoute mes prières.

En tout autre pays que la Sicile, la restitution du mouchoir eût été une cérémonie réglée comme dans les romans de chevalerie ; mais à Palerme la passion et l’impétuosité du sang viennent troubler les plus belles lois de l’étiquette. Au lieu de recevoir ce gage d’amour le genou en terre, dans une posture théâtrale, Dominique se jeta inconsidérément sur la main qui lui présentait le mouchoir et la tira fortement à lui. De son côté, la jeune fille, au lieu de modérer l’ardeur de l’heureux paladin par une contenance grave, perdit la tête, eut un voile sur les yeux, et ne résista pas à cette robuste main qui l’attirait, en sorte que le chevalier et la princesse tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

— Ai-je commis une erreur ? se demanda Pepina quand elle fut retirée dans sa chambre. J’avais juré de ne plus aimer personne ; mais est-on maître de son cœur ? Qui aurait jamais soupçonné tant de belles qualités, tant de vertus chez un simple pêcheur ? Mon Dominique est aussi brave, aussi loyal que les deux autres étaient perfides et vaniteux, et je refuserais ma tendresse au seul homme qui la mérite ! Oh ! ce serait absurde et barbare. Une femme ordinaire le mépriserait à cause de son humble condition ; moi, au contraire, je réparerai l’injustice de la fortune, et je m’élèverai par ma générosité à cent piques au-dessus de toutes les filles de la Sicile, et par conséquent du monde entier.

Dominique, avant de partir pour les côtes d’Afrique, où l’attendait sa forêt de corail, eut ses entrées dans le jardin pendant trois jours, et le quatrième, Pepina vint sur le môle pour assister à son embarquement. Il partit, son talisman sur la poitrine, rêvant la fortune et le bonheur, emportant des promesses et des sermens qui lui auraient