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Cependant Pepina crut se rappeler vaguement qu’elle avait engagé son cœur et sa main à un nommé Dominique. — J’aurais mieux fait, se dit-elle, de ne point me lier à ce pêcheur de thons ; mais, puisque l’idée de l’épouser ne valait rien, il faudra bien que Dominique entende raison comme moi. Je lui dirai que les madragues ne sont point un endroit à y aller chercher un mari, et qu’il se doit ôter cette fantaisie de la tête. J’aurais peut-être mieux fait aussi de tenir rigueur à mon fiancé pendant quelques jours encore ; mais mon Vincenzo est le meilleur, le plus loyal des hommes. Il ne verra dans ma faiblesse qu’une preuve certaine de l’amour extrême et de la confiance sans bornes qu’il mérite si bien. Une fois que je serai mariée, jamais il n’y aura de fidélité comparable à la mienne ; mes scrupules et ma rigueur seront poussés jusqu’à la manie, jusqu’au ridicule. Je me ferais hacher en cent mille morceaux plutôt que de souffrir l’apparence d’une atteinte aux privilèges de mon époux, et si quelque imprudent s’avise de me toucher le bout du doigt seulement, je lui arracherai les deux yeux avec mes ongles pour en dégoûter les autres.


V

La demande en mariage de don Vincenzo ne fut pas long-temps un secret ; les jeunes gens de la ville en parlèrent entre eux. Lorsque Gaëtano apprit cette nouvelle, le remords de sa mauvaise conduite le prit à la gorge subitement, et sa jalousie s’éveilla. Le Sicilien n’aime pas qu’un étranger vienne s’établir en son pays et lui enlever ses femmes ; il en épouserait volontiers quatre, s’il était possible, afin de n’en point laisser aux autres. Gaëtano écrivît à l’instant même à don Giuseppe pour lui rappeler certaines ouvertures qu’il lui avait faites le jour de l’excursion à Monreale, avec l’intention de solliciter l’honneur d’entrer dans sa famille. L’étudiant Giulio, informé de cette démarche, se sentit tout à coup inconsolable de sa disgrace et désespéré des reproches de Pepina. Il se piqua d’émulation, et manda en ambassade au marchand bonnetier une personne chargée d’ajouter un nouveau nom à la liste des prétendans.

Don Giuseppe tomba dans un grand embarras en voyant cette grêle d’épouseurs. Dame Rosalie, qui était femme de bon sens, voulait qu’on s’en tînt au seigneur Vincenzo, de peur de tout perdre par indécision. Pepina aurait partagé cette opinion, si un petit incident ne l’eût jetée dans la perplexité où était son père. Le marchand bonnetier mena un soir sa famille au théâtre de Pasquino, le Garrick de la Sicile. Ce Pasquino, confiné dans un coin où l’on parle un dialecte peu connu, n’en est pas moins un charmant comédien. Une méchante pièce devient un