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et c’était peut-être le lieu de la terre où cette tendance pouvait se satisfaire le plus naturellement et sans avoir besoin, pour exciter l’imagination des fidèles, de ces camp meetings qui ne peuvent jamais être qu’une exception dans la vie ordinaire des citoyens de l’Amérique du Nord, tandis qu’au contraire les scènes de la vie biblique devaient se représenter chaque jour, à chaque heure et par la force naturelle des choses, dans l’existence du pasteur africain. Je ne veux pas nier ni amoindrir la réalité des griefs qui déterminèrent le trek, la grande émigration de 1836-1839 ; je reconnais que les habitudes presque nomades des Boers leur rendaient l’adoption de ce parti extrême plus facile qu’à d’autres ; mais je crois aussi que, sans qu’ils s’en rendissent peut-être compte eux-mêmes, les souvenirs de la Bible et du séjour des Hébreux dans le désert ont prêté à cette résolution un attrait mystérieux, qui séduisit bien des imaginations par la perspective d’un nouvel Exode. N’en a-t-il pas été à peu près de même pour les Mormons des États-Unis, le seul exemple de l’histoire contemporaine que l’on puisse citer à côté de celui-là ?

Avec la suzeraineté presque nominale d’une métropole qui ne demandait qu’une chose à sa colonie, à savoir de ne point lui créer d’embarras, le gouvernement d’une population née sous l’empire de pareilles traditions et vivant dans un pareil milieu fut pour la Hollande chose des plus faciles : elle exigeait peu, on songeait encore moins à lui rien demander. Sa loi civile était plus que suffisante à la solution de toutes les difficultés qui pouvaient se présenter dans un pays sans commerce, sans autre industrie que l’agriculture, étranger par les mœurs et par les goûts, non moins que par la nécessité, à tous les litiges, à toutes les occasions de conflits qui naissent d’une civilisation raffinée, de l’agglomération des habitans dans nos villes et des complications infinies où s’égarent, se croisent et s’étouffent souvent chez nous les diverses branches de l’activité humaine. Là chacun trouvait, on peut le dire, de l’air à pleine poitrine, une place au soleil aussi grande qu’il la pouvait désirer, et, moyennant une faible redevance au gouvernement, propriétaire du sol en théorie, on lui livrait l’espace à dévorer. Avant d’être en querelle avec son voisin, il faut d’abord avoir un voisin ; or ce n’était pas le cas pour la plupart des colons répandus au nombre maximum de quatre-vingt-dix mille, leurs serviteurs compris, sur une superficie de plus de cent mille lieues carrées, c’est-à-dire égale presque aux six septièmes du territoire de la France. Aussi l’organisation administrative chargée de maintenir l’ordre et la police était-elle des plus simples : à la tête de chacun des drostdys ou districts entre lesquels on avait divisé le pays était placé un commandant qui, avec l’aide de deux ou trois veld-cornets, ses lieutenans, suffisait amplement aux besoins très peu compliqués de l’administration financière ou de