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existence réelle, que les intérêts capables de se défendre par eux-mêmes. Les Anglais ont un mot dans leur langue qui n’a pas d’équivalent dans la nôtre, fille du despotisme, et qui doit nous sembler presque cruel, à nous trop enclins encore à caresser le rêve absurde et impossible d’un gouvernement tuteur forcé de tous et de chacun ; mais c’est un mot qui exprime parfaitement bien comment ils jugent et ce que devient chez eux celui qui manque au devoir de se produire et de se garder soi-même imposé dans un pays libre à tout intérêt collectif ou particulier ; ils disent de celui qui ne sait pas par sa virtualité, par son activité personnelle, se conquérir et se garder une place dans le monde, que c’est un nobody, littéralement que ce n’est pas un corps, une réalité perceptible aux sens ou à l’esprit. C’était comme des nobodies que les colons hollandais allaient être d’abord traités. Tombés à ce degré d’ignorance, que la plupart ne savaient pas écrire et n’avaient peut-être jamais lu autre chose que la Bible, étrangers à la stratégie politique et parlementaire, on allait les citer, sans qu’ils sussent comment s’y faire représenter, au tribunal de l’opinion publique, la véritable souveraine de l’Angleterre, devant ce juge redoutable qui, dans le parlement, dans la presse, dans les meetings, dans les associations, tient des assises perpétuelles, où il n’est pas permis de faire défaut, où l’on n’accorde de remise à aucune cause, où les arrêts rendus contre les contumaces sont des arrêts définitifs. Jusque-là ils avaient été laissés, non-seulement libres, mais presque complètement isolés : il leur faudrait apprendre avec le temps et par une dure expérience ce que c’est que d’être emportés dans la sphère d’activité d’un grand empire, d’un gouvernement tenu sans cesse en haleine par des partis vigoureusement constitués, dont les ramifications s’étendent de la métropole sur tous les points du monde, dont la savante organisation permet aux griefs les plus humbles et les plus lointains de se produire jusque dans le sein du parlement. Les malheureux Boers n’étaient, eux, d’aucun parti, et tous ces ressorts si puissans de la grande machine britannique leur étaient inconnus et d’abord interdits. Leurs gouverneurs allaient les représenter comme une race inquiète, turbulente, opiniâtre dans sa haine du nouveau régime et dans ses regrets pour le passé, et ils ne sauraient comment se défendre contre la toute-puissance de la dépêche officielle, parlant seule et sans contradicteur. Les missionnaires anglais allaient les représenter comme les exterminateurs des noirs, comme les partisans fanatiques de l’esclavage, aveuglés par l’orgueil autant que par l’intérêt particulier, et les Boers ignoraient le secret de ce redoutable pouvoir qui, au Cap et partout, a toujours pesé d’un si grand poids sur le gouvernement anglais. Cependant, comme c’était une race forte et résistante et douée d’un grand sens moral, ils devaient à la longue triompher de ces épreuves, lorsque l’infusion du sang anglais et l’établissement