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il entreprit avec plus de courage et de générosité que de jugement de traiter les blancs et les noirs sur le pied d’une égalité morale qu’il traduisit impolitiquement par l’égalité devant les règlemens et les ordonnances. C’était bon pour les blancs, qui comprenaient ce que ces mots voulaient dire ; c’était absolument faux vis-à-vis des Cafres, pour qui tous les arrêtés et tous les décrets restaient naturellement comme chose non avenue ou impossible à comprendre et impossible à respecter. Il en résulta bien vite un état de choses déplorable ; les vols de bétail, les attaques à main armée contre les personnes se multiplièrent sur la frontière sans que les malheureux colons pussent le plus souvent obtenir justice, emprisonnés qu’ils étaient dans un réseau de formalités judiciaires inextricable, mais à travers lequel la barbarie du noir, son insouciance pour le danger du lendemain, son incrédulité quant au pouvoir de la loi, son adresse à la maraude, passaient impunément. À ce fléau vint s’en joindre un autre, le vagabondage auquel se livraient les émancipés de 1833 et les Cafres à qui on avait délivré des passes, dans la bonne intention de fournir à la colonie les bras dont elle manquait. Pour ces deux classes de gens, on avait nommé des magistrats spéciaux qui, venus tout récemment d’Europe, imbus des préjugés de la métropole contre les habitans, ne connaissant pas le pays, et se considérant comme les protecteurs nés des noirs, étaient toujours involontairement prêts à faire pencher la balance du côté de la philanthropie, c’est-à-dire contre les blancs. Leurs intentions étaient bonnes, leur administration était détestable. Pour la moindre difficulté entre le maître et le serviteur, entre le colon et celui qui lui avait volé un bœuf ou une chèvre, il fallait comparaître devant ces juges spéciaux, faire dix ou quinze lieues, s’absenter de chez soi pendant des semaines entières, sauf à trouver au retour sa maison dévalisée, et tout cela pour arriver à quoi ? à un arrêt de non-lieu le plus ordinairement. L’accusé trouvait toujours à citer, aux frais du trésor public, une foule de témoins qui, ne fût-ce que pour obtenir l’indemnité allouée en pareil cas, étaient prêts à déposer de tout ce qu’on voulait. Le serment pouvait enchaîner le colon, mais quelle importance pouvait-il avoir aux yeux de ces malheureux barbares ? savaient-ils seulement ce que c’était qu’un parjure ?

Les preuves abondent de la réalité des griefs des Boers ; nous nous contenterons de produire ici le témoignage d’un officier du génie de l’armée des Indes qui, envoyé au Cap avec un congé de deux ans pour y rétablir sa santé, a écrit un livre très justement estimé sur ce qu’il a vu pendant son séjour et le curieux voyage qu’il a fait dans l’intérieur du pays[1].

  1. Le succès très mérité de ce livre a mis l’auteur en lumière et a fait sa fortune politique. Le capitaine Harris est l’officier qui a été envoyé par le gouvernement anglais en Abyssinie, afin de surveiller, sinon de contrarier les nombreux voyageurs français qui, de 1840 à 1848, ont visité ce pays. L’expédition du capitaine Harris au Cap a été racontée dans la Revue du 13 janvier 1843.