Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que toute cette agitation ne représentait pas en définitive autre chose que la blessure faite à la fortune et à l’orgueil de la race blanche par l’émancipation des noirs. Combien j’étais loin des sentimens que je devais retirer de la pratique des hommes et d’une étude plus sérieuse ! Un philosophe de l’antiquité disait que le plus beau spectacle que la verre pût offrir aux regards des dieux, c’était celui de l’honnête homme aux prises avec l’adversité. Ne pourrait-on pas, en suivant la même idée, mais en la réduisant à des proportions plus modestement humaines, dire que le spectacle le plus attachant peut-être que présente l’histoire, c’est celui d’un peuple qui de la mauvaise fortune s’élève à la bonne par ses mérites et par ses vertus ? Or, c’est là ce que j’ai dû voir au cap de Bonne-Espérance. Fils d’une race étrangère, livrés par capitulation presque à la merci du plus puissant empire de la terre, en lutte avec les sentimens et les passions les plus généreuse, de leurs dominateurs, les Boers sent arrivés en définitive à conquérir leurs droits de citoyens et leur liberté dans les conditions les plus honorables pour eux-mêmes et pour ceux qui les associent aujourd’hui sur le pied de l’égalité à leur grandiose destinée. C’est là la moralité philosophique à tirer de cet intéressant épisode de l’histoire contemporaine. La politique a, je le sais, une autre manière de voir, et déjà il me semble entendre quelques-uns des orateurs qui ne manqueront pas de prendre part au débat, lorsque la question va se représenter devant le parlement anglais. La discussion sera vive et animée, et je m’attends à lui voir prendre une physionomie assez différente de celle que je viens d’esquisser. Je ne m’en trouble pas cependant ; parce que je sais aussi que la situation passée, présente ou à venir de la colonie du cap de Bonne-Espérance sera seulement l’occasion, mais non pas le sujet réel du débat. Parmi les membres du cabinet si menacé de lord John Russell, il n’en est pas qui soit plus attaqué, ou que l’on suppose être plus vulnérable que le comte Grey, ministre des colonies. Dans les circonstances actuelles, une victoire remportée sur lui forcerait sans doute le ministère whig à se dissoudre, et c’est par conséquent à enlever ou à défendre sa position que s’attachera le véritable effort des partis. Lord Grey succombera peut-être, mais ce ne sera pas sans honneur pour lui et sans qu’il ait le droit de revendiquer une belle part dans le merveilleux mouvement qui, depuis un demi-siècle et principalement depuis la paix, entraîne l’Angleterre sur tous les rivages, jette partout avec elle les fondemens de sociétés régulières et puissantes, répand à sa suite sur le monde les germes de la liberté civile, politique et religieuse, comme le vent qui emporte dans son souffle le pollen invisible et fécondant des fleurs, espérance d’une riche moisson. Engagé par les discours qu’il avait prononcés dans le parlement, tandis qu’il appartenait à l’opposition, Grey est entré dans le cabinet