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renouvelés, et du même coup l’idéal, qui n’était guère moins décrépit. L’école contemporaine met ailleurs ses affections et ses répulsions. C’est dans le sens moral qu’elle a transporté sa sensibilité. Elle est amoureuse de dignité humaine. À cette passion rien ne manque, pas même le cortége des imitateurs et des affectations ; mais c’est là l’inévitable, et les maîtres n’ont pas moins conquis à la poésie ce qui lui avait tristement fait défaut depuis long-temps, une position dans le monde. « Nous avons assez de science populaire de Claudius (peter-parleyism), écrivait un Américain ; ce qu’il faut à nos enfans, ce sont des livres capables de former leurs instincts. » Les hommes ont le même besoin que les enfans, et en y répondant la poésie est devenue une sorte d’enseignement supérieur. Je ne m’exagère pas son influence ; toutefois, chez ceux qui sont bien préparés, je pense qu’elle peut réellement développer les ambitions salutaires et intéresser au bien jusqu’à la vanité. C’est là un grand succès, car trouver le mal vilain et bas, c’est mieux encore que de le trouver condamnable. Il est vrai que la morale est de la morale, et que la poésie reste en dehors : la poésie, elle, est la langue orchestrée ; mais la langue peut s’orchestrer pour parler à la conscience comme pour parler à l’imagination ; elle peut aussi bien poétiser le devoir que la passion désordonnée, et, comme orchestration même, elle y gagne en grandiose, en richesse et en nouveauté.

Les vers d’une femme pourront nous fournir un exemple de plus de ce que cette direction peut ajouter de portée à la poésie.

Mais, avant d’arriver à elle, j’aurais un mot à dire de quelques autres volumes qui appellent moins l’attention sur les facultés individuelles de ceux qui les ont écrits, et d’abord de ceux de M. Reade.

M. Reade n’en est pas à ses débuts. Dès 1829, il avait fait paraître Caïn le Vagabond, et, à la suite de ce premier poème anonyme, il a successivement publié le Drame d’une Vie, le Déluge, une tragédie sur Catilina, et enfin l’Italie, le Mémorial des Pyramides et les Révélations de la Vie. De ces ouvrages, je connais seulement le dernier et l’Italie ; Dais ils suffisent, je crois, pour indiquer que M. Reade a marché avec son siècle. Dans son Italie, il avait parcouru à peu près le même sentier que Childe-Harold : non qu’il fût tout-à-fait un copiste pourtant ; il avait montré une certaine tournure d’esprit à lui, bien que mal dégagée. Ce qui était pis, il avait encore beaucoup de ces enthousiasmes officiels qui déparent l’école byronienne. Depuis lors, il a laissé là ces traditions, et les Révélations de la Vie rappelleraient plutôt Wordsworth et son Excursion. Trois esprits malades qui se sont retirés au fond des montagnes et qui racontent leur histoire intime en présence d’un pasteur de village, tel est le poème : En somme, il est un progrès marqué. Si l’un des personnages, le fanatique, se borne trop à paraphraser