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son caractère. Ses cheveux gris, rejetés des deux côtés, laissaient à nu son front ample et majestueux ; ses yeux, sous leurs arches profondes, regardaient impassibles, déjouant la curiosité, repoussant l’examen. Ils ne révélaient rien et discernaient tout ; nulles sensibilités humaines ne rayonnaient dans leurs calmes profondeurs ; ils reposaient dans une froide sérénité, sans passion ; un esprit concentré sur lui-même s’y montrait en éveil. Le front méditait sur des vérités découvertes ; les lèvres annonçaient l’énergie invincible et la volonté allant toujours à un but. C’était un homme sur qui les douces influences ne pouvaient rien. Le soleil ou la tempête se brisaient sur lui comme sur le granit. L’opprimé l’aurait distingué au milieu des multitudes, et il serait allé droit à lui, lisant sur son front la règle de la droiture inflexible, la justice sans sympathie qui pèse tout dans la balance du devoir. Le jet plein, et profond de son regard, comme le sérieux de ses manières, prouvait sa sincérité. »

Cette force pourtant n’est encore que de la faiblesse ; lui, c’est son intelligence qu’il ne peut porter. En prenant une part active à la vie, il n’a aperçu partout que l’opération des lois irrésistibles, des propriétés que Dieu a mises dans les hommes et les choses. Il a eu des désirs et des désordres, mais ils lui ont seulement appris comment l’ivresse est suivie de l’affaissement, comment le flux de la passion amène « le reflux qui fait reparaître les plages du devoir, » comment l’instinct, quand on lui a cédé, a pour réaction la raison qui rougit de sa servitude, — et, en dernier terme, tout entraînement est mort en lui. Il n’a gardé qu’une volonté avide de dompter sa nature.

À cette poésie, il y aurait mainte objection à faire. Le poète semble avoir plus d’éducation qu’il n’en saurait porter aisément. Il est un peu ahuri. Ses idées restent à demi ébauchées : elles se montrent et disparaissent comme des visions. Pourtant cela même a son charme. Cette fois la faiblesse, qui ne peut pas dominer ses impressions et qui en souffre, est le sujet même de M. Reade, et il en parle avec une tristesse qui touche à l’originalité. Quoique trop peu accentuées d’ailleurs, les deux figures principales complètent assez clairement à elles deux le tableau d’une phase intéressante de la vie. Elles font songer ce moment où finit la jeunesse, et où l’on commence à éprouver le besoin de recueillir en faisceau les élémens épars de son caractère. Pendant long-temps on avait mis sa gloire à se laisser emporter par tous ses mouvemens ; mais on vient d’embrasser d’un regard l’ensemble de sa propre nature, et on a eu honte de n’y apercevoir qu’un chaos de tiraillemens en tous sens. L’esprit à la fin entrevoit quelque chose de plus noble que la fougue des instincts désordonnés. Il ambitionne l’honneur d’avoir une personnalité. Avant de quitter la terre, on voudrait au moins avoir été un homme.

Cette heure de la vie, du reste, représente de tout point la phase que traverse en ce moment la poésie anglaise. La réflexion et l’instinct sont également en présence un peu partout, et la note dominante de M. Reade