Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complètement nouveau, ne permet pas cependant de confondre son œuvre avec les tableaux consacrés au même sujet. Ce que M. Chenavard a surtout cherché dans la représentation du déluge, c’est l’immensité, et je dois convenir qu’il a touché le but. Je n’accepte pas comme écrits avec une précision suffisante tous les épisodes qu’il lui a plu d’imaginer, mais je reconnais volontiers que l’ensemble de cette composition s’accorde parfaitement avec la donnée biblique. Je souhaiterais dans le dessin de plusieurs figures plus de grace et de délicatesse ; toutefois, quelles que soient mes réserves à cet égard, je n’hésite pas à louer la manière éminemment épique dont il a traité la donnée de Moïse. Il règne dans toute la scène une désolation, un désespoir qui émeuvent tous les coeurs. Ceux qui gardent le souvenir de Nicolas Poussin peuvent lui demander pourquoi il n’a pas tracé avec plus d’énergie et de pureté les contours de ses personnages. Quant à moi, malgré ma vive admiration pour le maître le plus savant de l’école française, je ne ferme pas les yeux au mérite qui recommande l’œuvre de M. Chenavard. C’est une autre manière de comprendre le sujet, que le goût peut avouer. Sans doute j’aimerais mieux que l’auteur eût ajouté à la grandeur de la composition une finesse, une harmonie de lignes qu’il paraît avoir dédaignées. Cependant, tout en reconnaissant qu’il n’a pas fait à cet égard tout ce que son savoir lui permettait, lui commandait de faire, je rends pleine justice aux facultés qu’il a librement déployées dans cette vaste machine.

Il y a, dans le Déluge de M. Chenavard, quelque chose qui ne relève d’aucune école, qui ne peut se comparer ni aux habitudes précises des maîtres italiens ni aux indications grandioses, mais souvent confuses, de Martin. Chez lui, en effet, la grandeur n’exclut pas la clarté, comme chez le peintre anglais. Il donne l’idée de l’infini, et ne réduit jamais ses personnages à n’être plus que des points colorés. Il n’a pas la pureté des maîtres italiens, mais il a peut-être plus de hardiesse.

Ce qui me frappe dans cette composition, c’est l’aisance avec laquelle l’auteur aborde les plus grandes difficultés de son art. Les mouvemens, les attitudes qui passent à bon droit pour des problèmes périlleux n’ont rien qui l’effraie. En regardant son Déluge, il est facile de deviner qu’il a vécu long-temps dans l’intimité de Michel-Ange. S’il n’a pas dérobé à ce maître prodigieux le talent d’exprimer toutes les pensées sous une forme que la science est obligée d’admettre sans restriction, il a du moins appris de lui l’art de ne jamais hésiter devant un mouvement dont la vie ordinaire ne fournit pas le modèle. N’eût-il retiré que ce profit de ses voyages en Italie, il devrait encore s’en féliciter. Ce qui domine en effet dans son Déluge, ce n’est pas l’abondance de l’imagination, mais une adresse singulière à présenter les figures humaines sous les aspects les plus variés. D’autres auraient peut-être imaginé