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se former dans ce moment un autre cabinet que le cabinet whig. Ce cabinet pourrait porter, malgré toute son instabilité apparente, le nom de cabinet nécessaire ; la nécessité lui fait soutenir les plus durs échecs ; la toute-puissance du parlement viendra elle-même s’incliner devant ce ministère auquel il a donné tant de votes hostiles, car si une majorité ne peut être ralliée, le parlement sera dissous : voilà le résultat probable et le plus prochain de la crise. Pour le quart d’heure, lord John Russell, après avoir fait annoncer à mots couverts que peut-être il allait entamer des négociations avec l’école de Manchester, c’est-à-dire avec M. Cobden et ses amis, en est revenu fatalement à la position d’il y a quinze jours, et se contente d’installer M. James Wilson dans les anciennes fonctions de lord Granville.

Il est impossible de ne pas louer et honorer les efforts de lard John Russell pour retenir dans des bornes libérales et modérées la politique anglaise, pour empêcher qu’elle ne tombe aux mains des partis extrêmes. S’il est vrai que lord John Russell ait fait des ouvertures au parti des radicaux libres échangistes, il a donné une preuve de haute intelligence. Oui, aujourd’hui que les anciennes dénominations de whigs et de tories n’ont plus tout leur ancien prestige, aujourd’hui que les tories représentent des institutions et des lois qui ne sont plus celles de l’Angleterre actuelle, aujourd’hui que les partis démocratiques commencent à se former et à devenir menaçans, si bien que les radicaux se trouvent, par le fait même de la naissance de ces partis, devenir des conservateurs, nous ne voyons aucune raison d’être étonnés, si le chef d’un cabinet libéral déclare qu’il prendra des hommes là où il en trouvera, et qu’il choisira ses collègues dans plus d’un côté du parlement. Les affaires ne pouvant cesser sans danger de rester entre les mains des whigs, et les whigs ne pouvant plus gouverner avec leurs seules forces, un rapprochement entre les libéraux de toutes les nuances devient absolument nécessaire. Pourquoi lord John Russell n’a-t-il pas, malgré ses hautes qualités et son noble caractère, la froide fermeté d’un Pitt ou la tactique inflexible et souple en même temps d’un Robert Peel ? Le moment est venu où il est nécessaire que les partis se reforment ; mais la main qui pourrait ressouder tous les anneaux de ce corps politique, aujourd’hui séparés et brisés, existe-t-elle ? Les élémens d’un grand parti conservateur existent cependant, et le ministre qui pourrait composer un parti qui irait de M. Gladstone à M. Cobden détournerait en grande partie les menaçantes éventualités du présent, et rendrait à l’Angleterre un des services les plus signalés que ses hommes d’état lui aient jamais rendus.

Un fait plus sérieux que les échecs récemment éprouvés par l’armée du cap de Bonne-Espérance, et qui sont un prétexte pour la presse anglaise d’attaquer de nouveau l’administration de lord Grey, ce sont les dissentimens qui se sont produits récemment entre les ouvriers mécaniciens du Lancashire et leurs patrons. Les Anglais affectent de regarder avec indifférence ce fait gros de tempêtes ; l’avenir se chargera de nous apprendre si leur indifférence était fondée. Douze mille hommes sont à l’heure qu’il est sur les pavés de Londres et de Manchester, privés volontairement de travail, mettant pour ainsi dire en état de siège les ateliers de leurs patrons, qui, de leur côté, refusent toute concession. Des deux côtés, dans les deux camps, il y a une solidarité étroite et une discipline redoutable : les ouvriers tiennent des meetings, les