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distinguée par son savoir et sa sagesse, et cinq enfans réussirent à se cacher dans un aqueduc souterrain où, dans l’ardeur qui les poussait à en finir, les acteurs du drame que nous venons de raconter ne songèrent pas à les aller chercher. Les brigands de Masada moururent ainsi au nombre de neuf cent soixante, y compris les femmes et les enfans.

Dès le point du jour, les Romains, comptant sur un combat acharné, accoururent en armes et s’élancèrent de leurs retranchemens dans la place au moyen d’échelles. Ils ne trouvèrent pas un ennemi devant eux, mais la solitude, le silence et l’incendie partout. Ils étaient loin encore de soupçonner ce qui s’était passé, et ils poussèrent d’une seule voix un grand cri, pour voir s’il ferait surgir quelque figure humaine. Les pauvres femmes cachées l’entendirent seules ; elles sortirent de leur refuge, et la parente d’Éléazar raconta tous les détails de cette horrible nuit. D’abord les Romains ne purent ajouter foi à ses paroles, et ils se refusèrent à croire à un tel dévouement. Ils s’efforcèrent d’éteindre l’incendie, et pénétrèrent bientôt dans le palais au travers des flammes et par le chemin couvert. Rencontrant alors des monceaux de cadavres, ils ne se laissèrent pas aller à la joie d’une victoire remportée sur des ennemis, mais ils n’eurent que de l’admiration pour la grandeur de l’action dont ils ne pouvaient plus douter et pour le sublime mépris de la mort par lequel tant d’hommes de cœur s’étaient illustrés à tout jamais. Voilà comment finirent ces hommes que Josèphe appelle des brigands ! Je doute que les annales humaines offrent beaucoup de faits semblables.

Depuis longues années, j’avais perdu de vue l’histoire de la guerre des Juifs, jamais mes études ne m’y avaient reporté ; j’ai donc visité Masada sans y attacher aucun souvenir. D’ailleurs le nom de Sebbeh que j’entendais seul prononcer aux Arabes n’était pas fait pour me rafraîchir la mémoire, et j’avoue en toute humilité que, quand même j’eusse été certain que je foulais le sol de Masada, privé de livres comme je l’étais dans ma course aventureuse, il m’eût été parfaitement impossible de dire ce qui avait rendu ce lieu célèbre entre tous. Que ceci serve d’exemple à d’autres voyageurs, et s’ils ne veulent pas se priver volontairement des émotions les plus vives, qu’ils préparent leurs explorations en lisant et en lisant beaucoup d’avance ! Je déplorerai toute ma vie la fâcheuse ignorance à laquelle je dois le regret de n’être pas resté un jour de plus à Sebbeh, malgré l’impossibilité d’y trouver de l’eau. Si jamais il m’est donné d’y retourner quelque jour, je ne ferai pas de même, et à tout prix je rapporterai de Masada tout ce que je pourrai recueillir de dessins et de plans.

Maintenant que j’ai raconté l’expédition de Sylva, il est temps que je raconte l’expédition plus pacifique à laquelle j’ai pris part. Tournant