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qu’il venait de subir, les railleries de Lézin, et par-dessus tout la préférence trop visible de sa cousine pour André, avaient envenimé sa plaie. Dans l’état de ses sentimens, il n’eût pu lui-même décider si sa haine contre celui-ci l’emportait sur son amour pour celle-là ; mais haine et amour aboutissaient à une seule volonté, celle de se débarrasser à tout prix du jeune patron ! Trop prudent pour en venir à une attaque ouverte, il cherchait quelque moyen de lui nuire sans se compromettre. Il s’était couché près de ses compagnons sous la cabane du futreau ; mais, tandis que les deux mariniers ronflaient à ses côtés, il continuait à s’agiter sur sa paillasse de mousse.

La lutte qui devait s’ouvrir le lendemain entre lui et André ajoutait encore à son inquiétude irritée. Ses premières années s’étaient passées à Nantes, dans la demi-oisiveté du moulin, sans autre occupation que de repiquer la meule, de lever les vannes et de jouer de la musette, selon l’habitude des meuniers du pays ; plus tard, une brouillerie avec sa mère l’avait forcé à rejoindre son oncle, et il s’était fait marinier, mais sans avoir jamais pu acquérir dans son nouveau métier beaucoup d’expérience ni d’adresse. Aussi prévoyait-il que la comparaison proposée par le père Méru tournerait encore à sa honte et assurerait, selon toute apparence, le mariage d’Entine et du jeune patron. Tout à coup il se redressa comme frappé d’une lumière subite, réfléchit un instant, puis, se laissant glisser hors de la cabane, il gagna avec précaution l’arrière du futreau et regarda autour de lui.

Tout dormait dans la charreyonne câblée un peu plus bas. La nuit était sombre, et la Loire roulait ses eaux avec un murmure profond. Sûr de ne pouvoir être aperçu, François passa dans le bachot, qu’il détacha, et, coupant de biais le courant, il gagna le chenal. Il le suivit quelque temps sans que le regard le plus attentif eût pu soupçonner ses intentions. Ce fut seulement lorsque le fil de l’eau l’eut amené entre les deux grandes îles du Désert et de l’Orfraie qu’il ralentit la marche de la barque.

Le lit du fleuve qu’embarrassaient des atterrissemens favorisés par les deux îles formait en cet endroit de nombreuses sinuosités, et le déplacement continuel des sables mouvans faisait regarder à bon droit ce passage comme un des plus difficiles d’Angers à Nantes. Aussi l’administration du balisage y apportait-elle une attention toute particulière. Par ses soins, de longues branches de saule, piquées dans le sable et déplacées à chaque changement du chenal, montraient aux barges l’écueil en dessinant sur les eaux la direction à suivre. François alla de l’une à l’autre, les arracha adroitement et les replaça de manière à indiquer la route par-dessus les atterrissemens. Il avait calculé que, le lendemain, André partirait le premier et qu’en consultant ces fausses indications, la charreyonne, lourdement chargée, ne pouvait