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moment lui semblait venu : restait à trouver la circonstance favorable et le moyen d’entrer en matière ! Or, outre l’embarras, il éprouvait cette espèce d’angoisse qui précède toutes les résolutions suprêmes. Il s’agissait d’un engagement auquel se rattachait sa vie entière ; de lui allait dépendre son repos ou son trouble, sa peine ou son bonheur ; aussi désirait-il et craignait-il en même temps l’entretien qui devait tout décider.

Appuyé au mât du bateau, les bras croisés sur la poitrine et les regards errans, il revenait pour la centième fois aux mêmes doutes sans les avoir résolus, lorsqu’un léger frôlement lui fit retourner la tête. Quelqu’un sortait de la cabane du futreau et s’avançait vers la charreyonne, qu’il fallait traverser pour atteindre la rive. À la gracieuse légèreté de la démarche, André reconnut, malgré l’obscurité, la nièce de Méru. Elle franchissait les bancs de la barque avec une précaution un peu craintive, et allait mettre le pied sur le second bateau, quand un mouvement du patron lui fit pousser un faible cri.

— Que craignez-vous, Entine ? dit d’une voix très douce le jeune homme, qui fit un pas vers elle. Ne me reconnaissez-vous point ?

Bien que l’accent eût dû rassurer la jeune fille, elle parut se troubler davantage, recula et répondit précipitamment, comme si sa présence dans la barque à une pareille heure avait besoin d’excuse, qu’elle venait de prendre son panier de voyage oublié dans la cabane du futreau.

— Avez-vous peur qu’on ne vous accuse d’être venue pour me rencontrer ? demanda André avec un sourire affectueux.

— Jésus ! ce serait me faire grand tort ! répliqua-t-elle, car je vous croyais encore à l’auberge avec mon oncle

— Quand vous êtes partie, je n’avais plus de raison pour rester, répondit le jeune patron ; mais, puisque je vous trouve ici, c’est le bon Dieu qui m’a ramené.

— Cela se peut, mon maître, dit Entine, qui, malgré son trouble, ne pouvait renoncer à une raillerie ; mais, comme d’habitude il n’envoie pas des mariniers aux jeunes filles en guise d’anges gardiens, ceux qui nous trouveraient causant à cette heure pourraient croire que vous êtes venu d’une autre part.

— Et de laquelle donc ?

— De celle du diable !

— Eh bien ! ce serait une menterie ! s’écria André en souriant malgré lui, car je viens… je viens de la mienne !

— Vous voyez, c’est presque la même chose, interrompit plaisamment la jeune fille. Allons, André, laissez-moi passer ; les gens du bateau peuvent revenir avec mon oncle, et ce serait pour moi une grande honte.