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— Et la vôtre, acheva la vieille aveugle : c’est un souvenir celui-là qu’on peut rappeler. Il y avait du courage à sauver une pauvre nonne seulement parce qu’elle avait été au couvent l’amie de votre mère. Aussi je ne l’ai point oublié.

— Je le sais, je le sais, reprit le malade avec une sorte d’impatience ; quand tout s’est tourné contre moi, quand on m’a abandonné, vous êtes venue m’offrir vos services… je ne dirai pas vos consolations.

— Il n’y a que Dieu qui console ! interrompit, sœur Claire impassible.

— Aussi m’avez-vous seulement accordé des soins ! continua son interlocuteur ; depuis vingt ans, j’ai quelqu’un qui surveille, économise, travaille pour moi, et je n’en suis pas resté moins seul… N’importe, ce que vous m’avez donné, les autres me le refusaient, et je n’ai point de honte à me reconnaître votre obligé.

— Vous ne l’êtes pas, reprit la nonne de cette voix dont le calme avait quelque chose du froid et du tranchant de l’acier ; ce que j’ai fait, c’était par devoir, non par choix ; j’ai voulu m’acquitter pour l’honneur des hommes et la gloire de Dieu.

— Ainsi, dit le malade, qui appuya avec force ses deux mains sur les bras de son fauteuil en essayant de se redresser, rien n’était pour moi ; vous ne m’avez considéré que comme un châtiment qui rachetait vos fautes ; vous avez vécu dans ma solitude pendant vingt années sans un seul mouvement de sympathie.

— L’abîme était entre nous, dit tranquillement l’aveugle ; vous pouviez le traverser sur la croix du Sauveur, vous ne l’avez point voulu ; le Christ vous jugera.

— Et voilà pourquoi vous avez refusé mon héritage ? continua le mourant, dont la voix s’élevait ; n’ayant rien fait à mon intention, vous ne vouliez pas de ma reconnaissance. Votre Dieu seul doit vous payer ! Eh bien ! allez donc le prier, car je n’ai plus besoin de vous… allez, sainte dont la générosité, est une malédiction ! Ah ! j’ai la conscience qu’en dehors de ces murs qui m’emprisonnent depuis si long-temps, il est des ames moins fermées. Oui, oui, le temps aura fait comprendre à ceux qui vivent dans l’air du dehors la tyrannie des circonstances, l’emportement des opinions… Oh ! j’en suis sûr, si ce monde qui m’a proscrit pouvait encore parler maintenant, sa voix serait plus miséricordieuse…

— Écoutez, interrompit la nonne.

Une huée venait de s’élever au-delà de l’enclos. On y distinguait le nom du mourant mêlé aux injures et aux malédictions. Presque au même instant une grêle de pierres franchit la clôture, s’abattit dans le jardin et vint rouler jusqu’au parterre, dont elle brisa les fleurs : les oiseaux épouvantés s’envolèrent. Le malade avait poussé un faible