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au centuple. Tiré de ses rêves de gloire théologique, Valens accourut à Constantinople, et fut presque lapidé par le peuple : les catholiques triomphaient. Comme il sortait de la ville, un ermite, quittant sa cellule, construite non loin de la route, se mit en travers devant lui, et l’arrêta pour le maudire et lui annoncer sa mort prochaine. Le malheur dissipant dans l’esprit de Valens toutes les fumées de la puissance, il redevint, comme aux jours de sa jeunesse, un soldat vigoureux et hardi jusqu’à l’imprudence. Avec une armée en désarroi, quelques troupes fraîches et des recrues, il entreprit bravement de balayer ces bandes victorieuses ou de périr à la tâche. Dans son impatience de combattre ou dans sa crainte de se laisser ravir la gloire du succès, il refusa d’attendre son neveu Gratien, empereur d’Occident, qui s’était mis en route pour le rejoindre : cet empressement le perdit. Les Romains manquaient de vivres, et Fridighern, qui le savait, les promenait de délai en délai pour les affamer ; tantôt c’était un prêtre qui venait au nom du ciel protester des intentions pacifiques des Goths ; tantôt de feintes propositions d’accommodement amusaient l’empereur, pendant que le rusé barbare ralliait une de ses divisions de cavalerie absente du camp.

La bataille se livra dans une plaine entre Adrianopolis, aujourd’hui Andrinople, et la petite ville de Nicée, le 9 août 378, par un jour d’une chaleur accablante. Pour augmenter les souffrances des Romains, Fridighern fit mettre le feu à des broussailles dont la plaine était couverte de leur côté, et, l’incendie se communiquant de proche en proche, le camp romain se trouva comme emprisonné dans un cercle de flammes. L’audace même de Valens nuisit à son succès. S’étant avancé sans précaution à la tête de ses gardes, il entraîna les légions, qui, séparées de leur cavalerie, furent bientôt cernées par les Goths. Des nuages d’une poussière fine obscurcissaient le ciel et empêchaient les combattans d’apercevoir leurs ennemis : les traits partaient au hasard ; on se cherchait, on s’égarait comme dans l’ombre d’un crépuscule. Quand les fronts des armées se rencontrèrent, la masse des Barbares, poussant toujours dans le même sens, parvint à rompre l’ordonnance des légions, qu’elle écrasa de son poids. Sur ces entrefaites, la nuit arriva, nuit sombre et sans lune. Valens, que ses généraux pressaient en vain de se retirer, combattait toujours, quand il tomba percé d’une flèche. Quelques soldats le relevèrent et l’emportèrent dans une cabane de paysan qui se trouvait à peu de distance du champ de bataille. On pansait sa blessure, lorsqu’une bande de pillards goths s’approcha, et, trouvant les portes défendues, amoncela autour de la cabane de la paille et des fagots auxquels elle mit le feu. Valens périt brûlé ; les deux tiers de son armée jonchaient la plaine, et les contemporains purent justement comparer cette journée néfaste à celle de Cannes.