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large de poitrine, il avait la tête grosse, les yeux petits et enfoncés, la barbe rare, le nez épaté, le teint presque noir. Son cou jeté naturellement en arrière, et ses regards qu’il promenait autour de lui avec inquiétude ou curiosité, donnaient à sa démarche quelque chose de fier et d’impérieux. « C’était bien là, dit Jornandès que nous aimons à citer, parce qu’il nous reproduit naïvement les impressions restées chez les nations gothiques, c’était bien là un homme, marqué au coin de la destinée, un homme né pour épouvanter les peuples et ébranler la terre. » Si quelque chose venait à l’irriter, son visage se crispait, ses yeux lançaient des flammes ; les plus résolus n’osaient affronter les éclats de sa colère. Ses paroles et, ses actes mêmes étaient empreints d’une sorte d’emphase calculée pour l’effet ; il ne mena fait qu’en termes effrayans ; quand il renversait, c’était pour détruire plutôt que pour piller ; quand il tuait, c’était pour laisser des milliers de cadavres sans sépulture en spectacle aux vivans. À côté de cela, il se montrait doux pour ceux qui savaient se soumettre, exorable aux prières, généreux envers ses serviteurs, et juge intègre vis-à-vis de ses sujets. Ses vêtemens étaient simples, mais d’une grande propreté ; sa nourriture se composait de viandes sans assaisonnemens, qu’on lui servait dans des plats de bois ; en tout, sa tenue modeste et frugale contrastait avec le luxe qu’il aimait à voir déployer autour de lui. Avec l’irascibilité du Calmouk, il en avait les instincts brutaux ; il s’enivrait, il recherchait les femmes avec passion. Quoiqu’il eût déjà, suivant l’expression de Jornandès, « des épouses innombrables, » il en prenait chaque jour de nouvelles, « et ses enfans formaient presque un peuple. » On ne lui connaissait aucune croyance religieuse, il ne pratiquait aucun culte ; seulement des sorciers, attachés à sa personne comme les chamans à celle des empereurs mongols, consultaient l’avenir sous ses yeux dans les circonstances importantes.

Cet homme, dont la vie se passa dans les batailles, payait rarement de sa personne ; c’est par la tête qu’il était général. Asiatique dans tous ses instincts, il ne plaçait même la guerre qu’après la politique, donnant toujours le pas aux calculs de la ruse sur la violence, et les estimant davantage. Créer des prétextes, entamer des négociations à tout propos, les enchevêtrer les unes dans les autres comme les mailles d’un filet où l’adversaire finissait par se prendre, tenir perpétuellement son ennemi haletant sous la menace, et surtout savoir attendre, c’était là sa suprême habileté. Le prétexte le plus futile lui semblait bien souvent le meilleur, pourvu qu’on n’y pût pas satisfaire : il le quittait, le reprenait, le laissait dormir pendant des années entières, mais ne l’abandonnait jamais. C’était un curieux spectacle que ces ambassades sans nombre dont il fatigua plus tard la cour de Byzance, et qu’il confiait aux favoris qu’il voulait enrichir. Connaissant les allures de cette