Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont aussi été données sur La Fontaine, Mme de Sévigné, les Arnauld, Molière, Corneille, Mme de Maintenon, et nos classiques ont été commentés, annotés, édités avec le même soin, la même exactitude et le même respect que les classiques de l’antiquité grecque et romaine, leurs aïeux directs et les seuls rivaux de leur gloire.

La plupart des travaux que nous venons d’indiquer datent déjà de plusieurs années : quelques-uns ont paru dans ce recueil, d’autres y ont été appréciés, tous sont connus du public ; mais, comme ce mouvement de curiosité féconde ne s’est point ralenti, il y a, nous le pensons, quelque intérêt à nous arrêter à des ouvrages récens qui apportent encore, après ceux dont nous venons de parler, des documens ou des vues nouvelles à l’histoire de Louis XIV et de son époque. Au premier rang de ces ouvrages, nous indiquerons ceux de MM. Moret, Chéruel et Depping. La publication de M. Depping embrasse au point de vue administratif le règne tout entier de Louis XIV ; le livre de M. Chéruel, qui se rapporte également à l’administration, s’étend de 1661 à 1672 ; enfin le livre de M. Moret, narratif et synthétique, commence avec le XVIIIe siècle et se rattache à l’histoire des quinze dernières années du grand règne. Quoique très différens entre eux, ces trois ouvrages se lient cependant d’une manière intime et s’éclairent l’un l’autre, car on ne peut comprendre la fin du règne de Louis XIV, et comment, au milieu de tant d’ennemis, il parvint à maintenir l’intégrité de son royaume, à faire face à l’Europe, si l’on ne connaît par le détail la puissante organisation du pays.

Le livre de M. Chéruel est avant tout analytique, et il a le mérite d’être, dans l’analyse, exact et lucide. L’auteur l’a rédigé d’après des documens contemporains, en entremêlant aux appréciations personnelles les textes et les citations. Ces textes sont empruntés aux mémoires inédits d’Olivier d’Ormesson, dont les manuscrits sont conservés à la bibliothèque publique de Rouen. Maître des requêtes de l’hôtel du roi dès la régence d’Anne d’Autriche, ami des hommes les plus distingués de son temps, d’Ormesson était placé pour bien voir, et il a jugé sainement ce qu’il a vu, parce qu’il avait le cœur droit et l’esprit juste. Colbert, qui poursuivait Fouquet avec acharnement, avait promis à d’Ormesson la place de chancelier, s’il consentait, comme rapporteur dans le procès du surintendant, à conclure pour la peine de mort. L’austère magistrat conclut au bannissement et fut disgracié ; mais la disgrace le laissa calme et impartial pour ceux mêmes qui l’avaient frappé, et c’est surtout cette sérénité inaltérable qui donne un grand prix à ses mémoires, où sont consignés jour par jour, de 1661 à 1672, les souvenirs les plus marquans de sa vie. Tout ce qui se rattache à la constitution du pouvoir central, aux réformes judiciaires, financières, administratives, a été, pour Olivier d’Ormesson, l’objet d’une attention particulière, et M. Chéruel a fait ressortir heureusement, en les rattachant à des classifications générales, les nombreux détails qui se rapportent dans ces mémoires à chacune des branches du gouvernement.

Placé entre les traditions, vivaces encore, de la féodalité et les récentes agitations de la fronde, Louis XIV s’appliqua d’abord à souder plus fortement l’unité de la nation et à constituer sur les bases les plus fermes le pouvoir central. L’autorité souveraine, dont le principe alors n’était contesté par personne, se trouvait dans son action entravée par tous, par les parlemens, les