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séparées de celles des officiers royaux. On régularisa la comptabilité, on liquida une partie des dettes ; les grandes familles de la bourgeoisie qui se perpétuaient, par l’intrigue et l’argent, dans les fonctions municipales et qui constituaient une véritable féodalité, en rejetant toutes les charges publiques sur les classes laborieuses, furent replacées dans le droit commun. Une création nouvelle, celle des maires au titre d’office perpétuel, rendit l’action du pouvoir sur les administrations urbaines uniforme et constante ; mais, par malheur, les offices de création royale ne tardèrent point à devenir un objet de trafic. Le gouvernement, pour augmenter ses ressources, les vendait soit à des particuliers, soit aux villes, qui les rachetaient par vanité et s’obéraient pour les payer. L’opposition aux réformes les plus utiles, que nous avons déjà signalée dans les états provinciaux, éclatait d’ailleurs dans la plupart des villes. Il n’y avait là, de leur part, aucun sentiment d’hostilité politique, mais un attachement obstiné à de vieux usages, des entêtemens de localité et la résistance des intérêts particuliers. Ainsi, lorsqu’il fut question d’agrandir Marseille, les bourgeois du corps municipal se récrièrent contre cette mesure, craignant que les maisons que l’on devait construire ne fissent baisser le loyer de celles qu’ils possédaient déjà. Il fallut, pour les faire céder, leur envoyer l’intendant des galères, Arnoul, homme expéditif et ferme, qui leur força la main pour embellir et assainir leur ville. On dut user de la même contrainte à l’égard des habitans de Bordeaux, qui ne voulaient point permettre le transit des grains de l’intérieur par la Garonne, de peur de les payer trop cher.

Les faits de ce genre sont très nombreux dans la publication de M. Depping, et on peut en tirer cette conséquence importante, à savoir que les améliorations n’ont point toujours, comme on l’a prétendu souvent, été réclamées par les peuples, mais souvent aussi imposées par les gouvernemens, et, en pénétrant jusqu’au fond des choses, on peut même dire que, dans l’ordre intellectuel aussi bien que dans l’ordre politique, ce fut Louis XIV, aidé des hommes dont il s’entoura, écrivains on ministres, qui porta aux abus du moyen-âge, antérieurement è la révolution française, les coups les plus décisifs ; car le XVIe siècle, et nous ne parlons ici que de la France, après avoir mis tout en question, avait laissé debout tout ce qu’il avait attaqué, sans rien fonder de grand et de durable, il avait affaibli les croyances et n’avait pas détruit un seul des abus dont il s’était armé contre elles. Il avait compromis l’unité nationale par le protestantisme qui nous conduisait droit à l’organisation fédérale et princière de l’Allemagne, par la ligue qui tendait à constituer le fédéralisme municipal. Dans l’ordre civil, judiciaire, administratif, les choses étaient restées dans le même état qu’au siècle précédent ; seulement la dissolution sociale était plus profonde encore, la nation plus affaiblie, et cette nation ne se releva que du jour où la réaction contre l’esprit même du siècle commença par Henri IV pour se continuer par Richelieu. Ce fut Louis XIV qui acheva l’œuvre et qui constitua la France moderne aussi forte, aussi puissante qu’elle pouvait l’être avant la grande émancipation de 89 ; ce fut lui qui fixa le gouvernement, comme les écrivains de son temps fixèrent la langue. Ce sont là des faits qu’il importe de maintenir, car on a singulièrement exagéré l’influence de la réforme sur le mouvement de notre civilisation française, tandis que chez nous ce mouvement fut essentiellement national, comme le catholicisme y fut toujours