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et Oudenarde, on reconnaît que les grandes luttes de la république et de l’empire ont de nobles préludes dans les luttes de Louis XIV. Les deux époques se valent sous le rapport de l’héroïsme, mais il est curieux de voir combien elles diffèrent entre elles sous le rapport de l’art, des opérations militaires et de la manière de combattre. Autant la guerre de Napoléon est rapide, foudroyante, pleine d’imprévu, autant la guerre des généraux du grand roi est lente, méthodique, régulière. Les campagnes commencent invariablement au mois de mai et finissent en octobre. Les troupes alors rentrent dans leurs quartiers d’hiver ; les généraux français reviennent à Versailles, les généraux ennemis retournent à La Haye, à Vienne ou à Londres. Quand les hostilités s’ouvrent de nouveau, on marche lentement, on s’arrête pour prendre toutes les places ; mais sur le champ de bataille la lutte est sans aucun doute plus meurtrière qu’elle ne l’est aujourd’hui dans la plupart des combats. Dans certaines actions, le tiers des hommes engagés est atteint, proportion énorme et qui dépasse de beaucoup celle des actions les plus sanglantes des guerres contemporaines. Il devait en être ainsi, car il restait encore quelque chose des habitudes guerrières du moyen-âge, avec des moyens de destruction beaucoup plus puissans. On se fusillait de très près sur un ordre beaucoup plus profond, on se canonnait, comme à Luzzara, deux jours entiers à portée de pistolet. La cavalerie, qui ne chargeait point encore au galop, car cette manœuvre fut pour la première fois introduite par le grand Frédéric, la cavalerie mettait souvent pied à terre pour aborder l’infanterie l’épée à la main. Les feux, il est vrai, étaient moins rapides, mais ils étaient plus meurtriers, les hommes de toutes les armées de cette époque étant habitués à assurer leurs coups et à chercher principalement la précision du tir. Friedlingen, Hochstett, Crémone, furent, dans l’acception la plus triste du mot, de véritables boucheries, car les troupes, dans la victoire, se montraient souvent impitoyables, et quand ce cri terrible : tue ! avait couru dans leurs rangs, elles n’épargnaient pas même les blessés.

Toute la partie militaire du livre de M. Moret est bien traitée, et nous indiquerons principalement ce qui concerne la campagne d’Allemagne en 1703. Villars, dans cette campagne, avait formé le projet de marcher droit sur Vienne, de donner la main aux, hongrois prêts à se soulever, et de décréter dans la capitale même de l’empire que l’empire avait cessé d’exister ; mais des circonstances plus fortes que la volonté du maréchal l’empêchèrent d’exécuter jusqu’au bout ce plan, qui rappelle celui de Napoléon dans les campagnes de 1805 et de 1809. On a souvent, dans ces dernières années, nous le savons, reproché aux historiens de donner trop de place aux faits militaires, sous prétexte que des récits de combats n’offraient ni intérêt ni instruction sérieuse. C’est là, à notre avis, un singulier reproche. Il nous semble au contraire que rien n’est plus propre à entretenir chez un peuple le patriotisme et le sentiment de l’abnégation individuelle, qui fait seul la force collective des nations, que le spectacle terrible et grandiose de ces luttes où les hommes se sacrifient les uns à une idée, les autres à un devoir, tous à cette mère commune qu’on nomme la patrie, à ce noble préjugé qu’on appelle la gloire. Dans l’effort suprême des guerres de la succession, le peuple et le monarque s’élevèrent tous deux à la hauteur des événemens. « Les ennemis, disait Louis VIV, connaissent mes forces, mais ils ne connaissent pas mon cœur. » La France pouvait en dire autant d’elle-même. Le