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d’un pays. Qu’en résulte-t-il ? C’est que les peuples s’accoutument à voir dans leur gouvernement une chose étrangère à eux-mêmes, tandis qu’en réalité des gouvernemens ne sont que ce que les peuples les font : — vicieux, si les peuples sont corrompus, — forcément moraux et justes, si la société nourrit le sentiment de la moralité et de la justice. L’expression la plus visible de cette corrélation entre un peuple et son gouvernement, c’est ce qu’on nomme l’opinion publique, ce ressort puissant dont parlait récemment un ministre dans une circulaire, « ce sentiment imperceptible, indéfinissable, qui abandonne ou accompagne les gouvernemens sans qu’ils puissent s’en rendre compte, mais rarement à tort… »

Le malheur est que l’opinion publique a été trop souvent égarée ou pervertie de notre temps par des déclamations et des peintures habilement corruptrices ; elle l’a été surtout, faut-il le dire ? par ce qui aurait dû la diriger, l’éclairer et la garantir, par la littérature, et ici encore M. de Ficquelmont n’est point sans rencontrer des traits justes et fermes pour caractériser les excès contemporains. L’homme d’état autrichien ne se laisse point imposer, même par les plus hautes renommées. Peu de plumes françaises nous ont rendu avec plus de nouveauté, de finesse et d’inexorable justesse la physionomie de Chateaubriand, qui « avait en tout deux mesures, dit l’auteur ; la plus haute était pour lui. » On a bien quelque droit d’être surpris certainement de trouver dans les pages d’un homme d’état étranger, qu’on pouvait supposer peu assoupli aux nuances de la critique littéraire, une série d’analyses pénétrantes, de remarques substantielles, d’esquisses vives et colorées. En parlant quelque part des générations nouvelles livrées au vent de toutes les passions, M. de Ficquelmont montre la troupe des Dalilah modernes, qui n’endorment plus les Samson de notre âge pour leur couper la chevelure, mais qui font mieux : « .elles flétrissent et énervent le caractère. » Malheureusement, la littérature contemporaine a été une de ces Dalilah si vertement caractérisées au passage. Nous voudrions pouvoir dire que la littérature de M. de Lamartine n’a jamais été de cette espèce. En lisant les ouvrages de M. de Lamartine depuis quelques années, l’Histoire de la Restauration comme bien d’autres, on ressent une sorte de souffrance intérieure, un doute singulier : on se demande comment il se fait qu’on lise ces pages avec un intérêt d’un certain genre, et qu’on n’en retire aucun fruit, aucune pensée sérieuse et solide ; tout au plus en reste-t-il une impression confuse et échauffante. C’est que M. de Lamartine écrit l’histoire comme le roman ; il fait de la réalité elle-même parfois un roman éloquent et enflammé. Cela ne veut point dire que les nouveaux volumes de l’Histoire de la Restauration ne contiennent, comme les précédens, des pages remarquables, des descriptions saisissantes, des aperçus pleins d’éclat ; mais il manque toujours la gravité forte et sévère de l’histoire, et ce perpétuel enseignement d’une époque reproduite dans sa simple et rigoureuse vérité. Et puis, nous l’avouons, nous ne pouvons nous empêcher de nous souvenir des premières histoires qu’écrivait M. de Lamartine, qu’il traduisait bientôt d’une si étrange manière dans la vie réelle, et qui nous apparaissent aujourd’hui comme un des élémens inséparables des désastres de l’intelligence moderne. Un jour, dans une discussion sérieuse élevée sur un sujet futile en apparence, sur ce qu’on nommait alors la littérature facile, un homme d’esprit, M. Janin, qui s’était