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L’expédition de Salé fait honneur aux hommes qui l’ont conçue et exécutée. Préparée secrètement, conduite avec autant d’énergie que de prudence, elle a donné tous les résultats qu’on en attendait.

Pendant les dernières années, nous avions eu de fréquens sujets de plaintes contre le Maroc, qui, oubliant les leçons reçues en 1844, refusait systématiquement, dans un sentiment d’orgueil musulman, toute satisfaction aux réclamations de nos agens. Le pillage d’un bâtiment français par les Salétains dans le port même de leur ville, sous les yeux et malgré les efforts de notre vice-consul, vint donner lieu à de nouveaux griefs. Le gouvernement perdit à la fin patience, et résolut de régler d’un coup tous les comptes arriérés. En conséquence de cette décision, le 26 novembre dernier, le contre-amiral Dubourdieu mouillait devant Salé avec une division composée du vaisseau de 100 canons le Henri IV, de deux frégates de 450 chevaux, le Sané et le Gomer, et de deux avisos légers. M. Bourée, chargé d’affaires de France à Tanger, représentait le ministère des affaires étrangères. Salé fut sommée de donner immédiatement satisfaction, si elle ne voulait pas être canonnée et traitée comme un repaire de pirates. Elle répondit d’abord par un refus formel à cette sommation, puis par un feu nourri au feu des vaisseaux et des frégates. Les Salétains avaient, en vingt-quatre heures, pu doubler le nombre des pièces placées sur leurs forts ; d’autre part, la houle, qui rendait le tir difficile, obligea bientôt l’amiral à ralentir le feu, afin de lui donner plus de précision et de ne pas perdre inutilement ses projectiles. La défense fut opiniâtre ; il ne fallut pas moins de six heures et demie de combat pour éteindre les unes après les autres les pièces des forts, que servaient non des Maures, mais des renégats espagnols échappés des présides de Ceuta et de Mélilla. Le vaisseau continua d’écraser jusqu’à la nuit la ville réduite au silence.

Quelques heures après, toute la division prenait la route de Tanger. Le 28, elle mouillait à quelques encâblures des murailles de cette ville. La nouvelle des événemens de Salé, portée par un steamer anglais, avait précédé la division française. Pour quiconque connaît les Arabes, ce n’était pas une chose simple que de remettre le pied sur leur territoire après la destruction de la ville sainte du Maroc. Il n’était pas sans danger de se mêler à une population fanatique, dans laquelle ce jour-là les Kabyles dominaient. Le chargé d’affaires de France crut au prestige de la force ; protégé par la présence des bâtimens auxquels pourtant toute communication avec la ville avait été sévèrement interdite, il descendit seul à terre, et, traversant une foule à la fois menaçante et terrifiée, il se rendit au consulat sans rencontrer un obstacle ou recevoir une insulte. Le pacha, invité à réunir les notables habitans de Tanger, déféra à cette réquisition, et les rassembla à la Casbah. Toute la garnison était sur pied, rangée sur deux rangs. M. Bourée s’y rendit, suivi des officiers de la légation, et là énuméra les satisfactions exigées. Après deux heures de conférence, tout était non-seulement promis, mais exécuté. Les Maures compromis dans des affaires de meurtre ou de vol contre nos nationaux avaient été, séance tenante, bâtonnés, chargés de fers, mis sur des chameaux et envoyés en exil ; l’argent réclamé avait été payé par le pacha lui-même et remis aux intéressés. C’est alors seulement que M. Bourée sortit de la Casbah promettant de faire saluer la ville par les canons de la division. La presse anglaise a jugé