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à galons d’or ; il cherchait le bruit, l’apparat, l’être et le paraître, aurait dit le baron de Foeneste. En cette bonne ville de Rhodez, dans ce pays moitié Auvergne et moitié Rouergue qui fut le berceau de sa famille, M. Jean Monteil habitait une maison de bonne bourgeoisie ; on obéissait, en ce lieu choisi, aux commandemens de Dieu et aux commandemens de son église ; on y disait la prière en commun chaque matin et chaque soir ; le travail, l’économie et l’ordre présidaient aux destinées de l’humble famille. À peu de chagrin suffisent de modestes plaisirs ; le jeu même avait quelque chose de sérieux, et les nouvelles du monde extérieur, on les savait quelquefois par les révélations tardives d’une gazette à six semaines de date.

« La vie est courte, disait Fénelon, les heures sont longues. » Ces longues heures étaient bien employées, et si parfois, aux jours de fête, il y avait dans la journée un moment de trop, le père de famille tenait toujours en réserve un conte à rire, par exemple le conte du braconnier. « Il chassait : son seigneur le rencontre ; le braconnier le met en joue… Et le lendemain, comme le seigneur se plaignait d’avoir été arrêté par ce garnement : — Vrai Dieu ! dit l’autre, c’est bien vous qui vous êtes arrêté, monseigneur ! » - Autre exemple. « Un cordelier se donnait la discipline, et d’une main peu diligente. Le frère gardien, qui avait l’œil à tout, détache au bon frère un grand coup de sa discipline à cinq branches. — Par saint François, s’écria le moine, voilà un coup qui n’est pas de mon cru !… » C’étaient là les bons contes de la famille Monteil et ses plus grands plaisirs. Ils n’en avaient pas d’autres ; ils se contentaient de ceux-là, plus un jeu de l’oie en hiver, un jeu de boules en été. Les grands passe-temps inconnus étaient remplacés par une gaieté inaltérable, ce qui est bien quelque chose, quand on songe aux tourmens de la mauvaise humeur. « Ah ! disait Mme de Sévigné à son ami M. d’Orves, que vous êtes gai ! que vous êtes gaillard ! que vous vous portez bien dans ce Boulay ! que vous êtes content d’y être et que vous adoucirez bien là votre sang ! Vous y faites passer bien plus de lait qu’il n’y a d’eau dans nos fleuves ! » Heureuse vie en fin de compte, occupée à des riens qui représentent volontiers de grosses affaires ! Heureux état de ces ames pacifiques et toutes remplies de la sécurité d’une société régulière, sous une loi facile, dans une patrie honorée ! Il y avait une chanson dont le refrain plaisait beaucoup aux bonnes gens de Rhodez : Bergères, toujours légères, toujours bon temps ! — Que les temps sont changés ! « Nous avons du feu, pas de lait ! » C’est encore un mot de Mme de Sévigné.

Il y a beaucoup de ce calme et de cet abandon des ames correctes dans le récit du naïf historien se racontant sa propre enfance. Il se rappelle encore les moindres détails de l’existence de chaque jour ; il assiste à la messe le dimanche ; il se voit lui-même marchant à la suite