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le bourdon de la cathédrale se fit entendre au fond même de l’Auvergne et du Rouergue, et ce premier coup du tocsin fit plaisir à mois père ; au second coup, mon père eut grand’peur ! » Au second coup de cette cloche funèbre, tout se brisa, car, en dépit de la fable, en ces tempêtes sociales, le chêne et le roseau eurent le même sort. D’abord on fit tête à l’orage, et bien vite il fallut reconnaître que l’orage était le plus fort. Plus de libertés, plus de charges, plus de privilèges, plus d’honneurs, plus rien de la fortune et des petites distinctions d’autrefois ; plus de galon d’or au chapeau, plus de livrée au valet, plus de fleur de lis sur les bancs de l’église, et bientôt plus de banc, et bientôt plus d’église ! Dans ces désastres et dans ces famines mêlées de meurtres, dans ces cris de Ça ira et de Marseillaises (nous étions loin de votre chanson, Bergères !), le ci-devant conseiller, le quasi-noble, le magistrat-seigneur de fiefs, le chrétien et le père de famille, Jean Monteil, qui passait naguère, la tête haute et la main fièrement posée sur sa canne à pomme d’or, à travers ce peuple qui l’honorait, saluant chacun et salué de tous chapeau bas, hélas ! à peine il osait se montrer ; il n’était plus qu’un aristocrate, un ci-devant, un suspect ! Autour de lui, le silence et la solitude. Chaque jour apportait un nouveau meurtre, une spoliation, et cette terre volée au misérable égorgé la veille rencontrait aussitôt un acheteur. Ces Auvergnats sont les vrais enfans de la folle-enchère ; ils achètent aussi volontiers un vieux château qu’un vieux chaudron, pour peu que le château ne se vende pas plus cher. Du château féodal, ils avaient fait bien vite une ferme, de la chapelle une grange, de la seigneurie un bien national. Ainsi furent déchirés aux criées publiques les beaux biens de la famille des Guiscards, les terres nobles du Dauphiné d’Auvergne, les domaines de la duché d’Arpajon. Maître Jean Monteil suivait d’un regard indigné ces jeux sanglans de la fortune insolente. « A quoi s’amuse Jupiter ? s’écrie un philosophe. Il s’amuse en ce moment à exalter les choses viles, à abaisser les choses grandes ! » Ainsi pensait l’indigné Jean Monteil. Dans ces usurpations par force majeure, il voyait disparaître tous ses amis l’un après l’autre. Le premier qui disparut sous le couteau, son ami et son hôte, M. le baron d’Ussel, était, comme Némrod, un grand chasseur devant le seigneur. Il aimait et cultivait la vie avec le plus grand, soin, ce digne baron, et cependant il était très économe, et même quelque chose au-delà. C’était, par exemple, un de ses tics : chaque dimanche, à peine l’aumônier du château d’Ussel avait dit le dernier mot de l’Évangile ; aussitôt M. le baron soufflait la chandelle au nez de l’aumônier. Éclatante leçon d’économie ! en profitait qui voulait ; le digne baron en profitait tout le premier.

On vous épargne ici tous les meurtres de ces époques horribles. À quoi bon revenir sans cesse et sans fin sur ces horreurs ? « J’écris ces