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mourut environnée de tous ceux qu’elle aimait, dans une maison à elle, que ses aïeux habitaient depuis tantôt deux ou trois cents ans ! » Vous l’entendez ! il parle de deux ou trois siècles, comme nous parlerions d’une vingtaine d’années : cent ans de plus, cent ans de moins, bagatelle ! — Il se souvient seulement qu’il y avait en ce temps-là, dans sa calme et heureuse province, un certain nombre de ces maisons roturières qui étaient aussi vieilles que la cité, tant le sol était solide et fort sur lequel ces maisons étaient bâties. Les révolutions, les changemens, les batailles, les guerres, l’immense absorption que fait Paris, cette pompe aspirante et foulante, de toutes les forces et de toutes les intelligences de la province, le hasard enfin, ce dieu nouveau, ont cruellement dérangé la stabilité de ces générations bourgeoises, qui avaient pour devise ce mot du droit romain : Qui tenet-tenet ! « Celui-là tient bien qui tient une fois. » Aujourd’hui il n’y a plus que la feuille qui tienne à l’arbre un instant. Trois cents ans ! C’était pourtant le compte exact de cette demoiselle Monteil, une des plus humbles filles de la cité, bien que son mari lui rappelât de temps à autre qu’elle tenait par son père aux Bandinelli d’Italie, et par sa mère à très haut et très puissant seigneur Jacques de Maffettes, dont l’écusson se voyait encore à demi effacé sur la muraille, et dont l’argenterie était chargée d’armoiries ! – Bon ! répondait la dame, ils sont bien loin ces Bandinelli, ces Florentins, et c’étaient, ce me semble, en leur temps, d’assez médiocres sujets. Quant à M. de Mallettes, il avait fait graver, j’en conviens, ses armes sur notre maison et sur sa vaisselle plate ou montée ; il est fâcheux que la cour des aydes ait gratté les armes et brisé l’argenterie des Maffettes comme roturière. — Elle avait donc une très bonne ame et peu orgueilleuse, cette jeune femme Monteil ; elle ne songeait qu’à son père, le petit marchand de drap, et non plus aux Maffettes qu’aux Bandinelli. Ces Bandinelli, je les regrette, ils m’auraient servi à enfler ces mémoires. Florence n’a pas oublié ce digne élève de Michel-Ange, Baccio le sculpteur, cher à Léon X, protégé du grand Doria, et ce Bandinelli eût été une belle alliance pour les Monteil, un vaste sujet de déclamations pour moi, leur historien. Comme aussi je me serais fort bien arrangé d’une certaine parenté avec cette illustre famille des Sévigné-Monteil, qui tenait aux Castellane de Provence, une des plus grandes maisons de l’Europe. Il y a, Dieu merci, encore de ces Sévigné-Monteil dans le midi ; un de ces Monteil disait un jour à l’auteur de l’Histoire des Français : — « Je veux vous faire un procès, à ces fins de vous faire ouïr que vous n’avez pas le droit de vous appeler Monteil ; je perdrai ma cause, et vous serez notre cousin ! » - Certes il faut reconnaître au fond de cette plaisanterie une certaine ambition honorable pour tout le monde ; la droiture et le bon sens de M. Alexis