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Quelle farce à cet autre marié qui voulait ramener d’Albi sa jeune femme sans payer aux jeunes gens de Rhodez les droits de la bienvenue ! En a-t-il fait de toutes les couleurs, ce Roger-Bontemps de Cavevrac ! Grace à lui, la ville de Rhodez a pu voir en un jour quatre représentations d’Esther jouée par des amateurs ! Rhodez n’avait vu jusqu’à ce jour que des comédiens venus de Lyon ou de Toulouse ; elle fut bien heureuse et bien fière en voyant un de ses fils représenter si dignement le roi Assuérus ! Dans toute la ville, on ne jurait que par Caveyrac ; c’est lui qui frappait aux portes la nuit, réveillant la maison endormie : Au feu ! au feu ! C’est lui qui décrochait les enseignes, plaçant la sage-femme à la porte du cabaret, et le bouchon du cabaret à la porte du conseiller ! Aux processions, il agaçait les pénitens blancs dans leur sac de toile, et lui-même, à travers sa capuce froncée, il faisait aux fidèles d’horribles grimaces. Était-il drôle, amusant et désopilant, cet être-là ! Était-il le bienvenu chez les marchands, chez le bourgeois, voire l’église et parmi les tonsurés ! Et quand il partit pour se faire recevoir avocat au parlement de Paris, que de larmes ! que de regrets ! — Caveyrac, criaient les jeunes gens dont il était le prince et le modèle : princeps juventutis ! L’écho répondait : Caveyrac !

Pleurez, amours ! graces, pleurez !

En ce temps-là, qui osait se rendre de Rhodez à Paris allait prendre à Clermont le coche de voiture, et payait sa place quatre louis d’or. C’était beaucoup d’or, quatre louis, en ce temps-là ; aussi l’usage était d’acheter un cheval au plus bas prix possible, de le pousser autant que possible, et de l’amener à Paris mort ou vif autant que possible. Avec un peu de chance heureuse, vous vendiez votre monture pour une pièce de trente sous, et vous suspendiez la bride, en guise d’ex-voto, à la muraille du chevalier Dièche, un gentilhomme auvergnat qui était le protecteur, l’ami, le conseiller, le répondant de tous les enfans du Rouergue.

Caveyrac, notre puîné, était digne, à tout prendre, de jouer le rôle du fils aîné dans quelque bonne maison d’autrefois. À force d’être bon à tout, il arriva qu’il ne fut bon à rien. Il eut des maux de nerfs comme un petit-maître et des vapeurs comme une petite-maîtresse ; il voulait être avocat, il voulait être agriculteur ; il finit par être arbitre-arpenteur. Il mourut de gras fondu, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, très estimé dans la ville de Saint-Geniès, dont il était l’ornement. On écrivit sur sa tombe l’épitaphe consacrée : Bon père, bon époux, bon ami. De profundis !

Le deuxième puîné, le dernier frère enfin, vous représente le fléau que renferme en son sein toute famille bourgeoise un peu nombreuse, soit que l’homme tourne mal et se mette à déshonorer un nom honorable,