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peine a-t-il indiqué les endroits faibles de ses premières années, il s’arrête, et vous ne trouvez plus que de longues pages blanches dans ce chapitre dont il devait être le héros.

Tout le reste de ce livre, écrit avec la plume du testament, sera consacré à sa femme, à son fils, et vous n’entendrez plus, de ce savant homme, que ses gémissemens et ses larmes. Il ne vous dira même pas par quel procédé, par quelle suite infinie de raisonnemens et de recherches il est arrivé à écrire, dans un système historique dont il est l’inventeur, son Histoire des Français des divers états, ces huit tomes si remplis de faits, de recherches et de découvertes auxquels il a attaché son nom d’une façon impérissable. À Dieu ne plaise que je veuille ici tenter une dissertation dans les formes et remplacer par une déclamation historique le simple récit de cette vie honorable, honorée ! Il faudrait avoir certains droits que je n’ai pas pour porter un jugement définitif de ce livre étrange et sans antécédent ; il est le seul de son genre et de son esprit au milieu de tant et tant de témoignages si divers que les siècles écoulés laissent après eux d’ordinaire. C’est, à proprement dire, le recueil des monumens des petits et des grands métiers de l’ancienne France, et pendant que le père Montfaucon, dans ses quatorze volumes in-folio, s’attache surtout aux solennels témoignages de la grande histoire, où les rois, les princes et les capitaines illustres sont appelés à jouer le rôle principal, l’historien des divers états s’attache aux débris plus humbles que laissent après eux, en passant sur cette terre vouée aux disputes, la bourgeoisie et le peuple de France. Ouvrez au hasard un des tomes du père Montfaucon ; vous rencontrerez, à coup sûr, l’image fidèle des pompes, du luxe et de la majesté des royautés d’autrefois : les couronnes, les armes, les devises, les blasons, les coupes d’or. M. Monteil, au contraire, dans ses monumens de la bourgeoisie, s’attache à tout ce qui a vécu, à tout ce qui a servi, à tout ce qui a souffert bourgeoisement. Au-dessous des gloires, des pourpres et des trônes, dans l’univers qui travaille et qui se résigne, dans le peuple des artisans et des artistes, dans l’échoppe, dans la ferme et dans le marché, M. Monteil a placé sa tente, il n’en veut pas sortir là il vit, il règne ; là il entasse avec un acharnement incroyable toutes sortes de détails, de formules, d’accens, de formes, au milieu d’un monceau de chartes, de comptes, de fragmens, de poussières. Tout compte ici : pas un feuillet qui n’apporte sa découverte, et pas une ligne qui ne soit une révélation ; — tout sert ici, même un parchemin roussi, un grain de sable, un fragment, un écho. Dans cette laborieuse reconstruction des temps d’autrefois, il n’y a pas une loi abolie, pas un usage oublié, pas un métier renversé, pas un droit périmé, pas un feuillet où la main d’un artisan ait tracé quelques lignes au hasard, qui ne devienne à la longue une précieuse trouvaille. C’est ainsi que