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M. Monteil a composé ses huit tomes de l’Histoire des Français des divers états de ces voix, de ces rumeurs, de ces prières, de ces blasphèmes, de ces chartes déchirées, de ces lois en lambeaux, de ces tessons et de ces haillons du temps passé que la révolution de 1792 avait jetés aux quatre vents du ciel.

Ce fut de très bonne heure, et avec une rare persistance, que M. Monteil, dans sa pensée et plus tard dans ses livres, déclara une guerre acharnée à ce qu’il appelait dédaigneusement l’histoire-bataille, et ce n’est pas sans un certain plaisir que l’on voit cet implacable ennemi de l’histoire-bataille installé dans la chaire d’histoire de l’école militaire au commencement de ces guerres terribles et de ce gigantesque empereur. M. Monteil, chose gaie à raconter, enseignant à ces maréchaux en herbe et en fleur la supériorité de l’outil sur l’épée, l’excellence du forgeron sur le capitaine, et la priorité du laboureur sur le maréchal de France, n’est-ce pas là, je vous prie, une bonne histoire ? Et, si l’empereur s’était douté de l’enseignement de son professeur d’histoire, aussitôt quel éclat de rire ou quel froncement de son sourcil olympien ! Mais ces jeunes gens de l’école militaire écoutaient à peine les découvertes du jeune professeur, occupés qu’ils étaient au bruit des canons, au choc terrible des armées, à l’âcre odeur de la poudre enivrante. L’audace, l’ardeur et l’ambition de ces jeunesses étaient déjà bien loin des bancs de l’école : elles traversaient, à la suite de Bonaparte, ces montagnes abaissées, ces vallées aplanies, ces fleuves domptés, ces villes conquises. Dans son école, où il était le barbare, le jeune professeur se trouvait cruellement isolé : ses bouillans élèves ne voulaient rien comprendre aux étranges enseignemens de leur maître ; ils le regardaient comme un ancien oratorien à demi ressuscité, qui leur parlait d’Alexandre et de César. Fi ! Alexandre et César, à l’heure où l’univers à genoux ne parlait que de Napoléon Bonaparte ! Insensé ! à ces imberbes sous-lieutenans il racontait Bouvines le lendemain d’Austerlitz !

Il paraît que ces premières années d’enseignement à l’école militaire de Fontainebleau furent longues et tristes à ce jeune homme, et qu’il y fit le rude apprentissage de la solitude et de l’isolement. Il était déjà un savant absorbé par la science, mais la science ne lui suffisait pas. Il regrettait la maison paternelle ; il rêvait un meilleur avenir, l’avenir à deux ! Un jour d’hiver, par un vent froid qui lui fouettait la neige au visage, il se rendait à la classe du matin ; à l’angle même de la place, et non loin du château, il fit la rencontre d’un corbillard ; le vent soulevait la tenture funèbre et laissait la bière à découvert. — Il arriva dans sa chaire encore tout ému, et la leçon commença. Comme on l’écoutait un peu moins qu’à l’ordinaire (quelque bulletin de la grande armée circulait dans l’école), il se hâta de conclure, et il revint en