Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/629

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dis-je, la ville ? un faubourgl Et dans ce faubourg, une sombre maison, une chambre sans feu où leur enfant allait voir le jour ! Pas un ami, pas une espérance ! Chaque matin, le malheureux Monteil se mettait en quête d’un emploi qui le fit vivre à peu près ; chaque soir, il rentrait dans son grenier plus malheureux et plus découragé qu’il n’était le matin. À la fin de l’hiver, et ne voyant rien venir, ces deux malheureux (ils étaient trois maintenant) : — Allons ! se disent-ils, Paris ne veut pas de nous, revenons à notre canton. Ils y revinrent à pied, par les beaux jours du mois de mai qui semblait les reconnaître ; ils vécurent de légumes et de laitage. « A nous trois, nous dépensions soixante francs tous les trente jours. » Déjà il commençait à mettre en ordre les divers matériaux de son histoire du quinzième siècle ; il en écrivait les premiers chapitres, vous pensez avec quels ravissemens !

« Chère Annette, écoutez ce que je viens d’écrire. Elle m’écoutait à me ravir. Son esprit, inquiet non pour elle, inquiet pour notre enfant, voyait déjà, grace à mon livre naissant, s’entr’ouvrir quelqu’une de ces splendides cavernes remplies de diamans et de perles dont il est parlé dans les féeries. — Va ! Reprenait-elle, et bon courage ! Nous mangeons maintenant notre pain dur, nous aurons du pain blanc pour notre fils. — O pauvre femme ! elle n’a mangé comme moi que le pain amer ; le pain blanc n’est venu pour elle, ni pour moi, ni pour notre fils ; le grain que nous avons semé ne lèvera que sur nos tombeaux ! »

Ils ont vécu (c’est un beau mot) d’espérance et d’eau fraîche. Il avait pour se sauver l’enthousiasme de son travail, elle avait l’enthousiasme de son mari. De l’an 1808 à l’année 1812, ils furent pareils à deux oiseaux sous la feuillée. Il vivait de quelques tâches qui se présentaient de temps à autre, et, pour peu que le dîner du lendemain fût assuré, il se remettait à rêver la gloire et la fortune à travers les pages de ce livre fait et refait si souvent ; car, et ceci n’est pas une observation vaine, le lecteur peut être sûr que plus l’artiste est pauvre, inconnu, oublié, solitaire, et plus il entoure son œuvre naissante de ses déférences paternelles. La foi, dit l’apôtre, soulève des montagnes ; la foi de M. Monteil a soulevé des montagnes de papiers et de parchemins ramassés dans les chartriers, dans les ruines et dans les cendres de quarante mille maisons à tourelles et à créneaux qui étaient les reines et les impératrices de toutes les autres maisons du royaume de France. Il s’attachait à ces fragmens épars comme tant d’autres hommes s’étaient attachés à la terre même des victimes de la révolution française. Ce qu’il a retrouvé dans ces papiers lacérés par tant de mains ignorantes ou spoliatrices ne pourrait se calculer. Ce qu’il a réparé dans ces lambeaux, lui-même il ne le savait pas. À la flamme, au naufrage, à l’océan il eût disputé ces fragmens qui étaient tout son livre. Les vents de la Tamise un jour ont jeté dans les flots de la Seine une masse de vélin brûlé à Westminster… Chose incroyable et inouie pour qui ne