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mots échappés à ma plume ; elle me disait souvent : C’est bien ! elle m’encourageait en toute chose ; elle était là… elle n’y est plus ! »


V

Désormais il restait seul au monde avec son fils Alexis, un noble enfant qui donnait déjà les plus belles espérances, et cet enfant, devenu un savant jeune homme, disparut à l’instant même où il allait tenir toutes ses promesses. Ceux qui ont eu l’honneur de connaître M. Monteil et le bonheur d’en être aimés se rappellent encore et se rappelleront toujours avec quelle émotion il parlait de son fils ; de grosses larmes roulaient à ce nom chéri dans ces yeux à demi éteints par le travail. Il perdait tout ce qui lui restait d’Annette en perdant cet enfant de leurs chastes amours ; il perdait, en perdant son fils, un ami, un camarade, un disciple, une force, un appui. Il avait élevé avec le plus grand soin ce fidèle compagnon de ses travaux, ce constant associé de sa fortune, et quand enfin l’œuvre et l’enfant grandis ensemble allaient combler l’ambition et les vœux du père de famille, arrive la mort qui d’un coup de sa faux dédaigneuse tranche, en passant, cette humble destinée. On frémit rien qu’à penser à ces douleurs. « Mon petit Alexis était né au mois d’août 1804, il disait souvent qu’il était né républicain. — Ce n’est pas la peine d’en parler, citoyen Alexis, lui disais-je en riant ; le jour même de ta naissance l’orfèvre mettait la dernière main à la couronne impériale du consul. » Cet enfant, élevé par ces deux êtres sérieux, eut à peine une enfance ; il sentit de bonne heure le poids de la vie. À l’âge de treize ans, il était déjà d’un grand secours ; il était bon, laborieux et juste ; il avait en lui toutes les qualités et toutes les vertus de l’honnête homme. « Ame loyale, esprit chaste, il m’aimait comme si j’eusse été le bon Dieu. »

M. Monteil était alors, en dédommagement de sa place perdue à l’école de Fontainebleau, bibliothécaire-archiviste de l’école de Saint-Cyr. Là, il éleva son fils jusqu’à l’âge de quatorze ans, et ils vivaient en paix l’un et l’autre à l’abri quelque peu bruyant de cette pépinière héroïque, lorsque la suppression de l’école, en 1819, les força de chercher fortune ailleurs. Ils portaient ainsi, sans l’avoir mérité, tout le poids des tumultes et des tapages de tant de jeunes capitaines, ces deux êtres clémens et dociles ; on les traitait, le père et le fils, comme des révoltés, et ils s’en allaient se tenant par la main, privés des 1,500 fr. qui les faisaient vivre, et cherchant dans la campagne un logis en belle exposition, avec un jardin, le tout pour 200 francs de loyer tout au plus. Jardin et soleil, fleurs et maison pour 200 francs, difficile problème ! ils tournèrent trois mois autour de ce problème et autour de Paris.