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était ce M. Monteil ; ou tout au moins une ame assez bienveillante pour s’enquérir de la réponse à faire à cette humble et éloquente supplique. Il reçut donc une de ces réponses banales qui conviennent à tous, et qui ne sont faites pour personne. « On regrettait… on ne pouvait pas ; on n’avait pas de fonds !… » Ah ! maladroits surnuméraires, maladroits et sans pitié, qui brisez d’un trait de plume une sainte espérance ! Il faudrait, pour votre juste châtiment, afficher la lettre de M. Monteil à la porte des ministères et des préfectures ; elle servirait de leçon aux employés à venir. Cependant M. Monteil ne se tint pas pour battu, et il s’en fut porter son humble prière à M. le préfet de la Seine, un homme certes affable et bienveillant, mais peu versé dans la connaissance de certains livres, et qui ne se doutait guère de toutes les peines et de tous les travaux que peut contenir un simple chapitre. Donc notre historien, quand il se présenta, tête nue, au premier magistrat de la cité, l’aborda d’un seul mot : Je suis Monteil ! Dans sa pensée, à ce mot-là : Je suis Monteil, M. le préfet devait se dire : Allons, soyons juste ! j’ai sous les yeux un homme qui a consacré ses nuits et ses jours à un livre que personne n’avait entrepris avant lui. — Je suis Monteil ! c’est-à-dire je suis ce père infortuné qui vous implorait hier, afin d’obtenir, dans tout cet espace de campagnes dévastées que la ville de Paris vend aux morts opulens, un petit coin réservé où je puisse enterrer mon fils unique. À ce cri parti de l’ame et des entrailles de ce malheureux, le préfet interdit ne sut que répondre. — Ah ! s’écria le vieillard, qui s’attendait à être reçu les bras ouverts, je suis perdu ! vous ne savez pas qui est Monteil. — Et il descendit l’escalier de l’Hôtel-de-Ville, tenant sa main tremblante sur ses deux yeux pour cacher de grosses larmes qu’il ne pouvait pas contenir.

Il fallut donc obéir absolument à cette nécessité si cruelle ; M. Monteil vit son fils disparaître au fond de cet abîme. Infortuné ! Quelques-uns de ses meilleurs disciples l’accompagnèrent, en pleurant, à cette tombe immense ; ils ont signé leurs noms amis sur ce livre qui tient lieu d’une pierre funéraire au jeune Alexis Monteil. Voilà, je pense, une terrible et touchante histoire, une tombe lettrée aussi triste que tous les tombeaux de tant d’écrivains que nous avons menés déjà à leur dernier asile, où ils restent seuls et à peine abrités sous un monceau de fleurs d’immortelles tombées en poussière ! À ce vaste charnier de la mort s’arrêtent les mémoires de M. Monteil : il n’a pas eu la force d’en écrire davantage. À compter de ce jour funeste, il s’est replié plus que jamais sur lui-même, dans le travail, dans la pauvreté, dans l’abandon, dans le silence. À peine de temps à autre, le soir venu, vous le rencontriez dans quelque allée du bois de Boulogne, aux environs de Passy, où il occupait une masure. Il allait seul, rêvant à ses histoires et à ses morts, pendant que, dans l’allée opposée,