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désespoir. La danse terminée, le bouc reprend place sur son piédestal. Les dames qui ont assisté à ce spectacle s’approchent de la duchesse avec force génuflexions et révérences, puis l’entraînent avec elles. Faust est resté sur l’avant-scène, et, pendant qu’il regarde le menuet, Méphistophéla revient prendre place à ses côtés. Il signale la duchesse à sa compagne avec un mouvement de répugnance, et semble lui faire au sujet de cette femme quelque confidence horrible. Il manifeste son profond dégoût pour tout ce monde absurde qui grimace autour de lui, pour ce fatras gothique où il ne reconnaît qu’une immonde et brutale parodie de l’ascétisme spiritualiste, — parodie qui n’a pas même le mérite d’être plus amusante que l’original. Il se sent le besoin d’une autre atmosphère, d’un air plus serein, plus pur ; il aspire à la beauté harmonieuse de l’ancienne Grèce, aux nobles et généreux types du monde homérique, cette printanière adolescence du genre humain. Méphistophéla comprend son désir, et, touchant la terre, de sa baguette, en fait surgir l’image de la fameuse Hélène de Sparte, belle vision aérienne aussitôt évanouie qu’apparue. Le docteur Faust, qui, en véritable érudit allemand, avait toujours idolâtré l’idéal antique, vient d’entrevoir la plus belle héroïne de ses rêves savans. Un noble enthousiasme brille dans ses yeux, l’impatience le saisit. Sur un signe de Méphistophéla, les coursiers magiques se présentent et les enlèvent tous deux. En ce moment, la duchesse rentre en scène ; à la vue de son bien-aimé qui vient de s’enfuir, elle devient folle de désespoir et tombe évanouie. Des monstres goguenards la ramassent et la promènent triomphalement avec maintes facéties grossières.

Nouvelle ronde satanique, interrompue tout à coup par les sons persans d’une petite cloche et le choral des orgues, sacrilège parodie de la musique religieuse. Rassemblement général autour de l’autel ; les flammes en jaillissent ; consumé par le feu, le bouc éclate et disparaît avec fracas. Quelque temps encore après la chute du rideau, on entend retentir les chants impies, les chants à la fois grotesques et terribles de la messe de Satan.



ACTE QUATRIÈME


Une île de l’archipel. À gauche, un bras de mer dont l’émeraude étincelante contraste agréablement avec le bleu de turquoise de la voûte céleste. Paysage idéal baigné dans une atmosphère lumineuse. Végétation et architecture aussi grecques, aussi belles que les rêvait jadis le chantre de l’odyssée. Cyprès, buissons de lauriers, à l’ombre desquels reposent de blanches statues. Plantes dignes des contrées de la fable dans de grands vases de marbre ; arbres ornés de guirlandes ; cascades cristallines ; à droite, un temple de Vénus Aphrodite, dont la statue brille derrière les colonnades, et tout cela animé par une verte et fleurissante race d’hommes, adolescens en blancs habits de fête, jeunes filles en légères tuniques de nymphes, la tête couronnée de roses ou de myrtes. Tout ici respire la sérénité du génie grec, la paix et l’ambroisie des dieux, le calme antique. Rien ne rappelle ce nébuleux supernaturalisme, cette mystique exaltation voluptueuse ou maladive, cette extase de l’esprit qui veut se délivrer des liens du corps et cherche au monde au-delà de cette terre ; partout une félicité réelle, plastique, sans le moindre mélange de regrets rétrospectifs ou de prétentieuses et vides aspirations.


La reine de cette île, c’est Hélène, la fille de Sparte, la plus noble beauté