Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vraie sagesse civile (la vera sapienza civile). Pie IX demanda qu’on rayât ce mot civile. « Rome, continuait M. Mamiani, ne ferme ses portes à aucune réforme, à aucune innovation féconde. » Féconde en biens, ajouta le saint père. Un autre paragraphe, appelant l’attention des députés sur les souffrances de la classe pauvre, leur recommandait de travailler à les soulager, et de suivre ainsi, dit Pie IX, les exemples et les préceptes de tous les souverains pontifes. Enfin il parut peu convenable au saint père que M. Mamiani, dans un autre endroit de son discours, lui fît dire que c’était une consolation pour son ame paternelle et italienne de voir que l’Italie se faisait graduellement et assez tranquillement (assai quietamente) à la vie publique. M. Mamiani se soumit à ces corrections et rapporta le texte modifié au saint père ; mais Pie IX ne fut pas plus content du second texte que du premier, et on fut obligé, pour le jour d’ouverture du parlement, de faire prononcer par le cardinal Altieri, en place d’un discours du trône, une courte harangue sans aucune couleur politique.

Ce n’était que la première phase de cette lutte singulière. Il fallait de toute nécessité que le nouveau cabinet, pour apaiser les esprits, publiât son programme. M. Mamiani, avec le consentement du saint père, rédigea ce programme, et la même scène qui avait eu lieu à la lecture, par le souverain pontife, du discours du trône recommença. Pie IX demanda des corrections, et ce ne fut que lorsque ces corrections eurent été faites que le programme fut communiqué aux chambres. M. Farini fut chargé par le ministère d’aller porter au pape le projet de M. Mamiani. Sa sainteté, après avoir lu et relu ce projet, écrivit de sa propre main en marge du manuscrit les changemens qu’elle exigeait. Les voici tels que M. Farini a cru pouvoir les publier dans son ouvrage d’après la minute originale même. Au cinquième paragraphe du programme on lisait : « La religion se concilie bien plus les ames par la persuasion que par les moyens extérieurs et la force matérielle. » Le saint père effaça cette ligne et y substitua : « Qu’avec les moyens extérieurs de la force matérielle. » Au paragraphe quatorzième, M. Mamiani parlait des mains laïques (nostre mani laïcali) du pape. Pie IX raya ce mot laïques. Plus bas, le programme annonçait que le ministère romain avait sollicité le gouvernement sarde d’envoyer des commissaires chargés de représenter l’Italie près de la nation hongroise. Pie IX mit en marge : « Si quelque ministre a eu cette pensée, il l’a gardée pour lui, car nous sommes à cet égard dans la plus complète ignorance. On pourrait donc donner à entendre ce qu’a fait le gouvernement sarde. »

On voit par ce curieux témoignage quels étaient les rapports intimes du souverain pontife et de ses ministres. Leur vie commune n’était qu’une lutte, et il était impossible qu’elle fût autre chose. Le pape ne