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divertissent les convives ne sont que d’ignobles invectives contre le ciel, beuglées, piaillées par des voix glapissantes, sur les mélodies des cantiques chrétiens. Les cérémonies les plus vénérables de la religion, les choses saintes, y sont singées avec force bouffonneries. Le sacrilège est complet. Ainsi du baptême, où des crapauds, des hérissons et des rats sont tenus sur les fonts selon les rites de l’église, tandis que parrains et marraines grimacent des mines dévotes et cafardes ; en guise d’eau baptismale, on s’y sert d’un affreux liquide, à savoir de l’urine du diable. Le signe de croix n’y est pas épargné : les sorcières se signent en sens contraire et de la main gauche, celles de langue romane accompagnant le signe de ces mots : In nomine Patrica Aragueaco, Petrica, agora, agora, Valentia, jouando goure gaits goustia ! c’est-à-dire : « Au nom de Patrice, de Petrice d’Aragon, à cette heure, à cette heure, Valence, toute notre misère a fini ! » Le précepte divin de l’amour et du pardon y est conspué par le bouc infernal, lequel, en dernier lieu, se lève, et, d’une voix de tonnerre, s’écrie : « Vengez-vous ! vengez-vous ! sinon vous mourrez ! » C’est la formule sacramentelle de la clôture, le Ite missa est de la diète des sorcières, qui finit, comme un feu d’artifice, par un terrible bouquet de blasphèmes, c’est-à-dire par une parodie de l’acte le plus sublime de la passion de notre divin Rédempteur. L’antéchrist alors se pose en victime et va se sacrifier, lui aussi, non pour le salut de l’humanité, mais en vue de sa perdition. Le sacrifice impie se consomme au milieu des flammes qui sifflent ; le bouc est consumé, et les sorcières s’empressent de recueillir une poignée de ses cendres, qui leur serviront à la fabrication de nouveaux maléfices. Cette cérémonie termine la fête ; le chant du coq a résonné, et la fraîcheur du matin commence à se faire sentir à ces dames, qui s’en retournent chez elles comme elles sont venues, mais plus vite. Mainte d’entre elles vient reprendre sa place dans le lit de son époux ronflant, qui ne s’est nullement aperçu de l’équipée de sa chère moitié, dont un simulacre en bois peint était couché à ses côtés pendant la durée du sabbat.

Et moi aussi, cher ami, je vais me coucher, car j’ai dû passer une partie de la nuit à coordonner toutes ces folles notes dont vous désirez l’envoi.


HENRI HEINE.