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REVUE DES DEUX MONDES.

II. — LES VILLES INDUSTRIELLES. — MULHOUSE, SAINTE-MARIE-AUX-MINES, BISCHWILLER.

L’industrie manufacturière, en Alsace, n’a pas choisi pour siège, comme en Flandre et dans la Haute-Normandie, les cités qui occupent le premier rang officiel. La capitale de la province, Strasbourg, cette ville si singulière, où les idées françaises sont entées sur des mœurs allemandes, n’est pas une ville de fabrique. Si quelques établissemens de ce genre existent dans la banlieue, la masse de la population strasbourgeoise est absolument étrangère à la vie industrielle proprement dite. Elle est adonnée à la pratique des arts et métiers, tels qu’ils s’exercent dans toutes les autres villes, et quelques-unes de ses habitudes contrastent même avec les exigences manufacturières. Une bonhomie sans gêne, qui s’étale à plaisir dans les lieux publics, et surtout dans ces nombreuses brasseries où se mêlent assez confusément des hommes de conditions diverses, tel est le trait le plus apparent qui s’y révèle dans la physionomie des masses. La brasserie joue du reste un rôle important dans l’existence de la population laborieuse, et la faveur qu’elle obtient porte souvent préjudice à la vie de famille. Passer là en commun des momens plus ou moins longs, avec une pipe et un pot de bière, c’est la jouissance préférée, même par ceux qui savent le mieux faire une légitime part au travail. Comment ce laisser-aller quotidien, ce besoin de pouvoir disposer de soi-même à toute heure s’accorderaient-ils avec la discipline sévère des fabriques, où la machine à vapeur tient les bras incessamment enchaînés ? Pas plus que Strasbourg, la ville préfectorale du Haut-Rhin, Colmar, dont la physionomie manque d’ailleurs de caractère, n’est un centre de fabrication. Quelques filatures situées à une petite distance, au Logelbach, bien qu’empruntant à ses faubourgs une partie de leurs ouvriers, ne sauraient lui communiquer un aspect industriel.

En Alsace, quand les manufactures ne se sont pas répandues dans les campagnes, elles ont préféré se grouper dans de petites cités, dans de simples chefs-lieux de canton, soit parce qu’elles y trouvaient quelques anciennes traditions manufacturières, soit parce que la vie et par conséquent la main-d’œuvre y étaient à plus bas prix, soit enfin parce qu’elles y régnaient en souveraines et n’étaient pas exposées à se heurter contre des règlemens de police municipale incompatibles avec les nécessités de la fabrique. Si ces villages se sont successivement agrandis, si une de ces petites cités est devenue, avec ses quarante mille ames, la première ville du Haut-Rhin, cette importance a suivi les développemens du travail, mais elle n’avait pas été la cause du choix primitif.