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étroite et pittoresque que cernent à droite et à gauche des monts inégaux confusément entassés. Cette fabrique emploie dix ou douze mille ouvriers, soit pour le tissage du coton teint, qui fut long-temps la seule industrie de la localité, soit pour une fabrication récemment introduite dans cette contrée, celle des tissus de laine mélangés. Une faible partie de la population travaille en atelier ; si on excepte quelques établissemens de tissage à la main et quelques teintureries, la plupart des fabricans n’ont chez eux qu’un petit nombre d’ourdisseurs pour monter les chaînes qu’ils donnent à tisser au dehors. Trois ou quatre mille tisserands habitent la ville même ; les autres sont répandus dans les montagnes, et leurs chaumières sont disséminées dans les gorges voisines, souvent à d’assez grandes hauteurs. Une pareille organisation ne saurait guère se prêter à une initiative hardie, pas plus dans le domaine de la fabrication que dans celui de la bienfaisance publique. On suit le sillon tracé avec la lenteur inhérente au système du travail à domicile, et on conserve ainsi, sans l’accroître, la bonne renommée des produits du district.

Diverses causes donnent naissance à une assez grande misère parmi la population laborieuse de Sainte-Marie : des chômages fréquens, la concurrence que se font entre eux les tisserands, trop nombreux pour les besoins de la fabrique, — le prix relativement élevé des denrées alimentaires à cause de l’isolement de la ville, où tout vient d’assez loin, enfin le grand nombre d’enfans dans la plupart des familles. Les moins malheureux parmi les ouvriers sont ceux qui ont une parcelle de terre à cultiver, et les plus misérables appartiennent à la partie de la population vouée à l’ingrate tâche du bobinage. Ne réclamant aucune aptitude particulière, cette besogne est confiée communément à des vieillards, à des enfans, à des femmes, à des infirmes ou même à des idiots, et la rétribution en est excessivement modique. Telle qu’elle est cependant, elle aide ceux qui la reçoivent à se nourrir et allège le poids de la charité publique ou privée. On se demande avec inquiétude ce que deviendra cette classe infortunée, si le bobinage mécanique s’installe dans la vallée, où il menace effectivement de s’introduire.

Dans l’ordre moral, la population ouvrière de Sainte-Marie n’étale point aux regards ces plaies profondes qui affligent d’autres régions, mais elle ne laisse pas voir non plus cette énergie intérieure qui fait luire un rayon d’espoir même au milieu de l’immoralité. Partout tiédeur et abattement ; on dirait une classe qui s’abandonne en face d’insurmontables difficultés. Les habitudes du cabaret, les fréquens exemples d’un concubinage qui devance presque toujours l’union conjugale, restreignent et contrarient l’influence de la vie de famille. Quant à l’empire des idées religieuses, il n’est guère mieux établi. Pour une population de dix à douze mille ames, dont les deux tiers appartien-