Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/744

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce qui devrait rester un goût et un plaisir. Les lettres aussi doivent servir à former l’esprit et à l’élever, à le rendre capable de goûter des plaisirs nobles et délicats, et non à l’embarrasser et à l’engourdir. Les pédans de tout genre, ceux du monde comme ceux du collège, sont ceux qui prennent la forme pour le fond. Blâmer l’éducation pédantesque, ce n’est pas blâmer l’éducation lettrée, c’est en blâmer un des défauts ou des ridicules.

La gymnastique ou les exercices du corps relevés du discrédit où ils étaient tombés peu à peu, grace à la mollesse du siècle, dans l’éducation privée bien plus que dans l’éducation publique ; la pédanterie raillée et critiquée, après Montaigne, comme étant l’inévitable effet de l’éducation lettrée, tandis qu’elle en est l’abus et la ruine ; par conséquent une idée vraie, c’est-à-dire le danger de faire des sybarites ou des pédans, poussée avec une exagération déclamatoire jusqu’au paradoxe, jusqu’à la manie de ne priser que les athlètes et les ignorans et de prendre la force du corps pour un signe certain de la fermeté de l’ame, voilà le premier point que nous devons indiquer dans le discours de Jean-Jacques Rousseau. Venons au second, et essayons d’indiquer également dans ce second point ce qu’il y a de vrai et ce qu’il y a de faux.

La question de la liberté de la presse tient une grande place dans l’histoire politique de l’Europe depuis plus de soixante ans. Jean-Jacques a le mérite, dans son discours, d’avoir prévu la gravité de cette question ; mais ne croyons pas qu’il soit favorable à la liberté de la presse. L’apôtre de la démocratie excessive est l’implacable adversaire de la liberté de la presse, et je n’en suis pas étonné. Le principe fondamental des gouvernemens démocratiques est l’idée qu’il y a un droit dans la foule, qu’elle soit instruite ou qu’elle soit ignorante. Chaque homme venant dans ce monde a le droit de donner son avis et son vote sur les affaires de l’état, non pas à titre d’homme sage et avisé, d’homme savant et éclairé, mais à titre d’individu. Avec cette idée, peu importe que les hommes soient instruits ou ignorans, puisqu’ils n’en sont pas moins souverains. Avec cette idée, l’instruction est une sorte de superflu et de luxe inutile dans un état, et souvent même dangereux. Or, si l’instruction est inutile, si la littérature est un mal plutôt qu’un remède, à quoi bon la liberté de la presse, qui est un moyen de propager la science ? à quoi bon l’imprimerie, qui est un moyen de conserver la science ? Écoutons Jean-Jacques Rousseau. « À considérer les désordres affreux que l’imprimerie a déjà causés en Europe, à juger de l’avenir par le progrès que le mal fait d’un jour à l’autre, on peut prévoir aisément que les souverains ne tarderont pas à se donner autant de soin pour bannir cet art terrible de leurs états qu’ils en ont pris pour l’y introduire. Le sultan Achmet, cédant aux importunités de