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très correctement les formules avec de la poussière blanche sur un tableau noirci ; mais, s’il ne sait pas se tenir en équilibre, il ne se laissera pas moins choir. Le pauvre paysan, au contraire, qui ignore ces lois, ne les applique-t-il pas mieux en réalité, lorsqu’il se tient debout en équilibre au-dessus de sa charrette surchargée de gerbes chancelantes ? Voilà bien la différence entre l’instruction et l’éducation : laquelle des deux vous paraît la meilleure ?

Ces deux personnages, Lancelot Smith et Tregarva, sont comme le symbole, l’un de la stérilité de l’instruction scolastique et mondaine, l’autre de la fécondité et de la force de charité et d’amour que donnent l’éducation de la nature et la croyance religieuse. Nous avons insisté sur ces deux caractères, parce qu’ils résument la pensée de l’auteur et tout l’intérêt du livre. Composé de fragmens et de conversations sur les sujets politiques et religieux à l’ordre du jour, et par là plus semblable à l’esprit de la jeunesse contemporaine, « qui, dit M. Kingsley, pense d’une manière incomplète et fragmentaire, » ce livre échappe à une analyse régulière, et il suffit d’en marquer fortement le caractère principal. Cette opposition entre l’instruction et l’éducation, la préférence marquée que M. Kingsley accorde à l’éducation sur l’instruction dominent presque tout son livre. Il a attribué au défaut de l’éducation, tous les vices de la société anglaise actuelle, il y voit un signe caractéristique de décadence. « L’éducation n’existe plus, dit-il ; c’est une preuve que les principes sont altérés et que le sens moral commence à s’affaisser. » Le niveau d’instruction rendu de plus en plus égal, la masse de connaissances mises en circulation par notre époque, ne l’éblouissent pas et même ne le rassurent pas beaucoup plus. Tout cela est très bien pensé. Il est bon de connaître la nature des terrains, la nomenclature des plantes et les vingt-quatre lettres de l’alphabet ; mais il serait beaucoup mieux de savoir qu’il y a un Dieu, qui nous impose certaines obligations, lesquelles, à leur tour, nous astreignent à certaines vertus qui sont, à proprement parler, la véritable vie de l’homme, M. Kingsley se vante d’être socialiste ; mais il faut convenir qu’il est l’unique de son espèce. Tous les vices modernes sont sortis, selon lui, de cette confusion que l’on a faite entre l’éducation et l’instruction dans la vie, et dans la religion entre le dogme et la morale. Volontiers il répéterait le mot de Carlyle : « Depuis les puritains et le gouvernement de Cromwell, l’Angleterre s’est de plus en plus retirée des voies religieuses qui lui avaient été tracées par nos pères, et maintenant nous arrivons rapidement à notre châtiment. » C’est à cet affaissement religieux que l’Angleterre doit les vices de son éducation, la décadence de la vie de famille, et c’est à cette absence d’éducation qu’elle doit ses récentes douleurs, l’accroissement du paupérisme, les souffrances industrielles. Pour que ces douleurs et ces souffrances n’eussent pas apparu, il eût fallu que l’esprit religieux continuât à entretenir la sympathie entre