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parle pour lui seul et ne répond point aux interrogations de son interlocuteur. Les parens n’y comprennent point le langage de leurs enfans, les enfans les mœurs de leurs parens. Une anxiété pénible plane sur tous les fronts ; une tension des muscles et une préoccupation semblables à celles qui contractent le visage d’un homme cherchant à déchiffrer une énigme rident et contractent disgracieusement tous les visages. Le vieux Lavington a bien, en vérité, le droit d’être de mauvaise humeur et de s’étonner des étranges idées de la jeunesse du jour, en voyant sa fille, la belle Argemone, perdre insensiblement les idées auxquelles il était habitué, et se livrer à des pratiques dévotieuses et papistes dans lesquelles elle a été engagée (ô confusion !) par le propre vicaire du comté, un protestant qui est une manière de demi-catholique. La chasse est maintenant sa distraction unique, car les plaisirs chers autrefois à tout gentleman campagnard, c’est-à-dire la causerie après le dîner, la visite des voisins, ne peuvent plus être des plaisirs pour lui ; ils parlent tous un langage singulier, et qu’il n’entend pas. Quel plaisir y a-t-il, par exemple, à entendre les dissertations de Lancelot ou les opinions de lord Vieux-Bois, un partisan de la Jeune Angleterre, ou du maître nouveau du domaine de Minchampstead ; bourgeois libéral et enrichi ? Que lui fait à lui le moyen-âge, du moment qu’il peut chasser comme chassaient les barons féodaux, et l’école d’Overbeck, et le néo-catholicisme ? Et que lui importeraient les conversions papistes, si sa fille Argemone n’avait pas des tendances à devenir papiste, elle aussi ? Ce n’est pas qu’il soit un protestant très austère ; mais cela l’écarterait de ses habitudes, de voir sa fille catholique. Quant au rétablissement du patronage aristocratique dont l’entretient lord Vieux-Bois, il aime tout autant l’état de choses actuel, qui ne le charge d’aucun soin et ne lui impose aucun devoir. Encore moins comprend-il lord Minchampstead, le libéral, avec ses idées de libre échange et son admiration pour le bien-être matériel des ouvriers américains. Ces divers personnages, qui le comblent d’étonnement, ne s’étonnent pas moins les uns les autres ; ils se comprennent aussi peu qu’il les comprend. Aux yeux du tory de la jeune école, Lancelot est un démagogue ; aux yeux de Lancelot, le tory est un modèle d’excentricité puérile, et le lord libéral un égoïste endurci. Le spectacle qui se présente dans la maison des Lavington se reproduit dans la famille même de Lancelot. Depuis que son fils s’est converti au catholicisme, l’oncle de Lancelot ne voit plus en lui qu’une sorte de parricide, et le fils, à son tour, ne voit dans son père qu’une ame damnée. Il n’est pas jusqu’aux pauvres eux-mêmes qui ne soient séparés par dés abîmes. Le vieux garde-chasse Harry Verney, que la mort d’un braconnier n’effarouche pas, qui en un mot exerce sa profession à la manière d’un tory, ne comprendra jamais les scrupules du jeune garde Tregarva, qui remplit ses fonctions à la manière d’un whig ou même d’un radical,