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qui intéressait pourtant au plus haut degré la France et la Russie, l’église catholique et l’église grecque, en un mot les croyances religieuses et les ambitions politiques des grands cabinets. Il s’agissait de savoir si les religieux catholiques, qui ont été originairement en possession des principaux sanctuaires de la Terre-Sainte, en seraient à la fin dépossédés par les empiétemens successifs des schismatiques grecs. Le danger pouvait paraître d’autant plus menaçant, que l’église grecque compte en Turquie près de 14 millions de fidèles, tandis que le nombre des catholiques n’atteint pas à un million dans tout l’empire. D’autre part, la France, investie naguère par des traités solennels du protectorat des catholiques d’Orient, a depuis 1789 laissé dépérir entre ses mains cet héritage religieux de l’ancienne monarchie. Par indifférence ou par oubli, elle a négligé ces droits et ces devoirs de protection dont tous les souverains, depuis François Ier jusqu’à Louis XV, s’étaient montrés si jaloux. La Russie au contraire, dont l’influence en Orient n’a pas cependant la même antiquité, a peu à peu gagné du terrain parmi les chrétiens grecs depuis la fin du dernier siècle ; elle a pris en main leurs intérêts avec l’habileté et la persévérance qui lui sont propres ; elle s’est fait accepter par eux comme leur protectrice officielle.

Les Turcs étaient, de leur côté, dans une position des plus délicates vis-à-vis de leurs sujets des deux églises. Si le divan prenait parti dans cette querelle, s’il donnait raison aux Latins, il indisposait nécessairement les Grecs, et ceux-ci forment plus d’un tiers de la population de l’empire. Il blessait de même un voisin irritable et puissant que des considérations de prudence lui conseillaient de ménager. Le divan était pourtant forcé de reconnaître en dernière analyse que l’influence du catholicisme et de la France est bien moins à redouter pour l’empire ottoman que l’influence de l’église grecque et de la Russie. Il inclinait donc plutôt du côté du cabinet français que du côté de la Russie ; mais il eût désiré que les deux grandes puissances débattissent entre elles les conditions de l’arrangement. « Nous sommes musulmans, disait le divan, nous n’avons rien à voir dans les rivalités de l’église grecque et de l’église latine ; accordez vous, ou faites-vous la guerre, si mieux vous l’aimez ; c’est votre affaire. » Le vœu du gouvernement turc était donc avant tout de conserver dans les négociations une certaine neutralité.

Une telle attitude ne pouvait satisfaire, on le comprend, ni la France, ni la Russie. Peu désireuses de se voir en présence seule à seule, les deux puissances s’adressèrent toutes les deux au divan, et lui demandèrent, la Russie de maintenir le statu quo si favorable à l’église grecque, la France de revenir à l’exécution des anciens traités qui consacraient les privilèges présentement contestés de l’église catholique. La France toutefois, jusqu’au moment de l’envoi de son ministre actuel à Constantinople, ne parut guère disposée à se montrer exigeante, et la Russie se prévalut avec avantage de ces dispositions peu empressées pour conseiller aux Turcs l’ajournement indéfini du différend. Depuis que la question a été prise et poussée avec plus de vigueur par le cabinet français, la Russie a dû, à son tour, déployer plus de ressources. L’empereur est lui-même intervenu personnellement par une lettre autographe, adressée au sultan. La situation de la Russie à Constantinople était d’autant plus forte, que plusieurs des puissances catholiques, sur le concours desquelles la France était