Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/792

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
786
REVUE DES DEUX MONDES.

toutes les couleurs, toutes les figures de la patrie, et il était là comme un fumeur de hachich perdu dans ce monde enchanté. Mais notre vie à nous ne nous permet pas de nous laisser envahir par la poésie. Je mis fin à une visite qui m’avait pris déjà trop d’utiles momens. J’en avais tiré du reste des argumens victorieux pour ma cause.

— Je me rends, me dit mon interlocuteur ; je conviens avec vous qu’aucune mémoire de paysan ne serait ornée en France, ni même je crois en aucune contrée de l’Europe, comme celle du Chambi. Reconnaissons au pays du soleil le privilège de colorer chez tous les hommes le langage et la pensée des mêmes teintes que le ciel.

— Louons Dieu, ajoutai-je d’avoir donné pour refuge le domaine de l’imagination à ceux qui mènent, sur une terre stérile, la vie de la misère et du danger.

Quant au Chambi, il ne s’inquiétait guère des réflexions qu’il venait de nous fournir. Il avait repris son visage résigné et son attitude placide. Comme je lui demandais, en le congédiant, sur quelles ressources il comptait dans ses pérégrinations continuelles, il ouvrit la bouche, et, me montrant entre ses lèvres brunes ces dents d’une éclatante blancheur qui distinguent les enfans du désert : « Celui qui a fait le moulin, dit-il, ne le laissera pas chômer faute de mouture. » Quand il fut parti, je pensai que ce pauvre hère emportait peut-être sous ses haillons les deux plus grands trésors de ce monde : la poésie et la sagesse.

Général Daumas.

PETITES SUPERCHERIES ET GRANDE ÉRUDITION DES CONTREFACTEURS,
LETTRE À UN JOURNAL DE LEIPZIG.

Quel que soit le dégoût que l’on éprouve à descendre dans certaines questions, à s’occuper de certains hommes, il est des faits d’une telle audace et d’une telle jonglerie, que l’on est bien forcé, malgré soi, de les dénoncer à la conscience des honnêtes gens de tous les pays. Que si, en semblable occurrence, le langage n’est pas toujours dans le ton, d’avance on prie de le pardonner ; comment refouler tous les sentimens qu’inspirent et méritent si bien des adversaires qu’aucun scrupule, aucune pudeur ne saurait arrêter ?

Que l’officine de contrefaçons, à Bruxelles, qui a pour raison sociale Meline et Cans (un représentant prêtant son nom à un commerce de piraterie, belle recommandation dans un parlement !), multiplie les brochures les plus naïves, pour défendre in extremis son industrie, condamnée par toutes les voix morales de l’Europe, — et hier encore par l’Edinburgh Review, — c’est un droit accordé aux plus mauvaises causes. Aussi négligeons-nous les brochures de ces messieurs, qui ont trouvé d’ailleurs de rudes contradicteurs à Bruxelles même, car il faut bien savoir que tous les hommes considérés de la Belgique supportent avec peine le voisinage de la contrefaçon littéraire. Tout récemment, un éditeur intelligent de Bruxelles, M. Charles Muquardt, a fait justice de ces factums ; sans en avoir l’air, il a réduit à leur juste valeur leurs hâbleries et leur touchant appel au droit civilisateur dans un, écrit, qui juge la contrefaçon aussi