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que, quelle que fût la voie adoptée par le gouvernement, une fois la suspension de la loi des céréales accordée, il lui paraissait impossible de rétablir encore cette loi. Cette ouverture fut froidement reçue par les autres ministres, et vivement combattue par lord Stanley. Ces discussions remplirent les quatre conseils de cabinet tenus dans la première semaine de novembre. La grande majorité du ministère se rangea à l’opinion de lord Stanley ; sir Robert Peel n’eut pour lui que trois de ses collègues : lord Aberdeen, sir James Graham et M. Gladstone. Seulement on convint, avant de se séparer, de prendre quelques mesures d’enquête et de précaution relativement à l’Irlande, et d’attendre des renseignemens plus précis sur le déficit de la récolte, peut-être exagéré alors par la panique, comme l’événement le prouva en effet plus tard. Mais, après la lettre de lord John Russell, sir Robert Peel fit entendre à ses collègues un langage plus pressant. Sa position politique était entamée, dit-il, par le manifeste de son rival ; il ne pouvait plus garder le pouvoir qu’à la condition de convoquer le parlement le plus tôt possible, et de lui demander, avec le concours d’un cabinet uni dans la même pensée, l’abrogation des lois des céréales. Cette fois, la résistance de lord Stanley n’eut pas d’écho. Il croyait son honneur engagé à maintenir les principes de politique commerciale qui avaient présidé à la victoire du parti conservateur et à la formation du ministère ; tout ce qu’il pouvait accorder au danger public, c’était la suspension temporaire des lois restrictives. Cette concession n’avait point suffi à sir Robert Peel ; le ministère s’était retiré. Enfin, les efforts tentés par lord John Russell pour composer un cabinet whig ayant échoué, sir Robert Peel était rentré au pouvoir en dictateur.

En ce moment, — la résolution de sir Robert Peel étant connue de l’Angleterre et de l’Europe, — si le parti conservateur demeurait fidèle, au principe de la protection, quelle destinée pouvait-on lui prédire ? Si les membres de ce parti s’avisaient de résister à l’impulsion du ministre, quel coup étaient-ils capables de porter à la fortune de celui qu’ils suivaient si docilement depuis seize ans comme leur chef ? Laissés à eux-mêmes, pourraient-ils seulement demeurer un parti ? Entre le ministre et eux quel contraste ! Sir Robert avait pour lui l’opinion récalcitrante de ses collègues déjà domptée, la faveur de la cour, la considération de l’Europe, la confiance des hommes d’affaires, les applaudissemens de la puissante ligue des libres échangistes, dont les clameurs semblaient être la voix du peuple anglais tout entier, l’impuissance constatée aux yeux du monde de ses rivaux politiques, qui venaient de remettre entre ses mains le pouvoir qu’une occasion unique leur avait en vain livré. Que lui importait maintenant le ressentiment de ses anciens amis ? Sans lui, que seraient les conservateurs ? Rien. Sans les conservateurs, qu’était-il ? Tout. Il cessait d’être l’homme