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qui puisse s’élever, dans les grandes occasions, aux accens de l’éloquence ; car, en Angleterre, le leader d’un parti est comme le chef d’un contre-gouvernement : il a vis-à-vis du pays le même relief et presque la même responsabilité qu’un premier ministre ; on veut qu’il soit toujours prêt à exprimer une opinion étudiée sur toute question ; il doit chercher sans cesse à relever devant le public, par une initiative opportune et savante, le crédit moral, l’influence et la popularité de son parti ; il faut qu’il justifie par ses propres créations les critiques qu’il exerce sur la politique de ses adversaires ; enfin c’est le seul homme qui n’ait pas le droit de s’absenter, de se taire et de se reposer un seul jour. On voit bien que, sans leader, un parti ne saurait avoir, en Angleterre, de consistance ni de durée.

Lord George Bentinck recula long-temps devant ce rôle ; il le croyait trop supérieur à ses forces. Les circonstances en augmentaient les colossales difficultés. Si la tâche est rude de conduire un parti ancien, combien ne le serait-elle pas davantage de conduire un parti nouveau ou plutôt un parti à créer ! La question sur laquelle il s’agissait de combattre rendait cette perspective plus redoutable : c’était la plus vaste, la plus compliquée des questions économiques ; il fallait pour la posséder des recherches de statistique immenses, pour l’exposer une mémoire infaillible, et cet art de combiner les chiffres et de faire des arbitrages commerciaux où sir Robert Peel excellait tant. Puis il faudrait affronter sous les yeux d’un public éprouvé, qui n’épargnerait ni une gaucherie ni une erreur, les hommes d’état les plus versés dans la pratique des affaires, les orateurs les plus exercés aux discussions économiques. Lord George Bentinck ne crut pas d’abord que ses antécédens, si étrangers à cette nouvelle scène, et que son inexpérience de parole lui permissent de prendre part aux débats. Il avait eu avant l’ouverture de la session une singulière idée : c’était de faire élire à la chambre des communes quelque avocat de talent qui du moins pourrait plaider d’une voix assurée la cause de la protection, et auquel lui, lord George, se chargerait de fournir son dossier. Il fut sur le point de conclure cet arrangement avec un avocat distingué ; mais un accident empêcha l’avocat d’accepter. Lord George Bentinck se résigna à tenter lui-même l’entreprise ; il suppléa à l’expérience et à l’habitude par une force de volonté extraordinaire et par d’incroyables efforts de travail ; il réunit, au moyen d’une vaste correspondance et d’entretiens quotidiens avec les agriculteurs, les négocians, les économistes, tous les matériaux des questions de tarifs qu’il aurait à traiter ; il digéra et s’assimila cette aride langue de la statistique, les chiffres, et parvint à étonner plus tard ses adversaires par la facilité, l’abondance, l’esprit avec lesquels il sut en tirer, au profit de sa cause, des rapprochemens lumineux et des conclusions imprévues. Il se rendit en quelques