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— Vous ne savez pas ce que c’est que le. Derby ? reprit lord George avec un soupir.

— Oui, je le sais ; c’est le ruban bleu[1] du turf.

— C’est le ruban bleu du turf, murmura lord George, et il alla s’ensevelir dans un in-folio de statistique.

Mais, quatre jours après, la même question de protection coloniale était posée devant la chambre ; les voix se partagèrent ; lord George, qui présidait la chambre comme président du comité, fit, par son vote, pencher la balance en faveur de la conclusion de son rapport. En ce moment, il oublia « le ruban bleu du turf. » Il n’aurait pas donné pour cet instant d’exaltation tous les succès et toutes les gloires des courses de printemps ou d’automne. Il vint à M. Disraeli l’œil étincelant, la narine dilatée. « Nous avons sauvé les colonies, lui dit-il ; elles sont sauvées. C’est le glas du free trade. » Quelques mois après, cette franche, robuste et véhémente nature n’existait plus. Lord George Bentinck mourut d’un coup de sang dans la vigueur de l’âge (il n’avait pas cinquante ans) ; il allait à pied faire une visite à un de ses voisins. Cet homme, qui avait régné sur les champs de course et remué tumultueusement les assemblées parlementaires, tomba et expira sans assistance, dans un chemin de campagne, à une demi-lieue du château héréditaire de sa famille.

Après un court interrègne, M. Disraeli succéda à lord George Bentinck comme leader du parti tory dans la chambre des communes ; j’eus, à la fin de la session de 1849, la satisfaction de le voir assis au premier banc à la gauche du speaker, à la place habituelle du chef de l’opposition. La vie parlementaire n’a plus été agitée, durant les trois dernières années, des émotions que nous avons racontées. Les époques calmes sont les plus favorables à l’apprentissage, sinon aux éclatans succès, des fonctions de leader. Ces dernières années ont été très utiles, sous ce rapport, à M. Disraeli. Elles lui ont donné le temps de se rompre à toutes les discussions pratiques, et il y est devenu expert au maniement des détails financiers et économiques, particulièrement goûté dans les chambres anglaises. Comme tacticien, il a déployé de remarquables qualités. Il a agrandi progressivement la situation de son parti, si bien que déjà l’année dernière il réduisit, sur la question agricole, la majorité de lord John Russell à quatorze voix seulement, et ébranla le ministère dont ses amis et lui viennent de prendre la place. D’ailleurs plusieurs circonstances favorisèrent les progrès du parti tory. Les classes agricoles n’avaient pas apporté une grande ferveur aux élections de 1847, parce qu’à cette époque, grace à la disette qui maintenait les prix du blé à un taux élevé, elles n’avaient point encore senti

  1. L’ordre de la Jarretière.