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éblouissant, mais pervers, et enfin, au sein de l’air énervant qu’on y respire, ayant su garder un rang éminent parmi les poètes de son temps. Les Douleurs de Rosalie, l’Immortel[1], et - beaucoup plus tard - le Rêve, dédié à la belle duchesse de Sutherland, l’ont placée fort près de Felicia Hemans et fort au-dessus de presque toutes leurs émules.

Dans ce dernier poème, mistress Norton a, pour ainsi dire, préludé au roman que nous allons essayer de reproduire. Une jeune fille s’éveille au milieu d’un rêve d’amour et le raconte à sa mère, qui prend texte de cette confidence naïve pour dérouler sous les yeux de son enfant le tableau sévère de la vie réelle et dissiper les illusions dont elle entrevoit le péril. L’amer ressentiment d’une épouse outragée perce, d’un bout à l’autre, dans cette audacieuse peinture, où l’on remarque les vers suivans que nous plaçons volontiers comme épigraphe en tête du récit qu’on va lire :

« Demande au ciel de t’envoyer pauvreté, maladie et mort, tous les maux qu’aspire l’être humain avec le souffle dont il vit, plutôt que de te condamner à user ton existence en ces misérables luttes, — à errer au hasard, sans pardon, courbée sous le poids de ton cœur, — à rêver, comme l’idéal du bonheur, la mort de celle qui succombe indulgente et réconciliée, — ou bien encore, lasse de colère, de mépris, de haine, à venir implorer le pardon du coupable qui t’aura infligé tant de souffrances…

« Cherche, au fond de ton ame déchirée, parmi tes pensées en désordre, celles qui t’ont fait si long-temps délirer ; qu’elles prennent sur tes lèvres le langage de la passion suppliante ; essaie d’apprendre à cet homme ce que peuvent être les tourmens du cœur. Pleure, prie, épuise tes forces en sanglots insensés ; à genoux ! et roule-toi sur la terre dure, et que ton corps se replie ainsi que le serpent mortellement atteint.

« Invoque le ciel, qui sait combien ta douleur est vraie. — Appelles-en aux plus doux souvenirs de ta jeunesse, aux joyeuses espérances qui bercèrent tes premiers jours, aux larmes qui ont éteint ta colère, au bonheur qu’il t’a dû et dont il n’a pas gardé la mémoire, à ces angoisses qui te font désirer la mort, — et tu sauras alors comment un homme peut frapper au cœur, d’une main assurée, la pauvre femme qui se débat à ses genoux, la frapper et ne pas avoir pitié ! »


I

Vous avez sans doute rencontré, au bal ou ailleurs, David Stuart, de Dunleath et d’Ardlockie. Sa femme du moins, — une des étoiles de notre beau monde, — lady Margaret Stuart, a, comme dans nos salons, sa place dans votre mémoire. Rarement, en effet, beauté plus sereine, plus radieuse, vivacité plus souriante, naturel plus riche et plus heureux, exprimèrent au même degré la paix d’une conscience que rien n’a jamais troublée, la sécurité d’une ame parfaitement pure.

David Stuart, lui, porte sur sa figure, belle encore et remarquable à plus d’un titre, l’empreinte de quelques soucis et de quelques fatigues. Pour quiconque sait par quelles épreuves et quelles expiations sa jeunesse a passé, — vous les connaîtrez tout à l’heure, — ces rides et cette

  1. The Undyiny one. C’est le Juif-Errant qui est ainsi désigné.