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— Quand j’aurai la pleine possession de ma fortune, demanda-t-elle à David stupéfait, n’en toucherai-je que les revenus annuels ? serai-je libre d’employer à mon gré telle ou telle somme, si considérable qu’elle puisse être ?

Un sourire forcé contracta les traits de son tuteur, obligé de répondre à cette question si peu prévue.

— Eh ! de quoi s’agit-il, mon enfant ? lui demanda-t-il à son tour. Voulez-vous donc bâtir un palais italien ou quelque église gothique d’après les dessins que je vous vois crayonner chaque jour ?

Puis il broda sur ce thème des plaisanteries qu’Eleanor écoutait rêveuse, et tout à coup :

— Voyons, lui dit-elle, dites-moi ce que coûterait Dunleath ?

À ces mots, David Stuart se tourna brusquement vers elle, répétant avec un accent presque irrité les paroles qui venaient de frapper ses oreilles.

— Dunleath ; qui était à vendre il y a quelques mois, ne l’est plus, que je sache…, ajouta-t-il ensuite. Mais pourquoi donc, Eleanor, vous complaire à me torturer ainsi ?…

C’était la première fois qu’il parlait de la sorte, sur un ton de reproche acerbe, à sa douce pupille. Elle leva sur lui des yeux étonnés.

— J’étais bien loin de vouloir vous offenser, lui dit-elle avec une tristesse indicible.

David, comprimant les pensées qu’il venait de trahir dans un premier moment d’angoisse, prit et baisa la main de son élève.

— Pardonnez-moi, lui dit-il ; ma santé n’est pas bonne, et mon caractère s’en ressent. En supposant même que je ne mérite pas votre indulgence,… eh bien ! alors même pardonnez-moi.

Eleanor eût excusé chez son tuteur de bien autres torts. Un seul lui semblait presque impardonnable : c’était le charme qu’il paraissait trouver à la conversation brillante de lady Margaret Fordyce, l’attention émue qu’il prêtait à ses chants, lorsque, sollicitée par lui, elle se mettait au piano, l’extrême déférence qu’il accordait à ses moindres fantaisies. Elle étudiait avec une surprise qui ressemblait à de la jalousie ces symptômes d’une affection que ne justifiaient pas complètement à ses yeux les relations établies, dès leur enfance, entre son tuteur et lady Margaret, autrefois voisins de campagne ; elle s’inquiétait de trouver tant de différence entre l’affectueux dévouement que David Stuart lui témoignait, à elle, en toute occasion, et l’empressement, le désir de plaire empreints dans ses moindres paroles, dans ses gestes les plus insignifians, lorsqu’il était en présence de l’aimable veuve. Celle-ci d’ailleurs semblait accepter avec reconnaissance ces hommages flatteurs, et lorsque Godfrey Marsden, en l’absence du jeune tuteur, l’attaquait avec sa sévérité accoutumée, Eleanor n’était