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c’était la saison des chasses, et sir Stephen avait l’habitude de passer deux mois d’automne à Glencarrick, chez sa sœur, lady Macfarren. Il prétexta la convenance d’une présentation immédiate, et il fallut partir pour Glencarrick. Eleanor obéit à regret. Elle eût peut-être résisté davantage, si elle eût connu les dispositions de lady Macfarren à son égard. En bonne Écossaise, cette noble dame avait trouvé tout simple que son frère épousât la plébéienne Eleanor, quand celle-ci comptait encore parmi les riches héritières des trois royaumes ; mais, en apprenant qu’il persistait dans ses prétentions après qu’il la savait ruinée, elle éprouva un vif dépit, fort augmenté lorsqu’elle vit ses remontrances inutiles, ses conseils négligés, son autorité d’aînée parfaitement méconnue. Dans ses idées, un pareil entêtement chez son frère ne pouvait tenir qu’aux intrigues dont il était entouré, à l’ascendant pris sur lui par lady Raymond et par Eleanor, conspirant à l’envi pour capturer un si beau parti. Aussi avait-elle refusé de venir au mariage, et, cela dans des termes qui n’avaient point permis à sir Stephen de montrer sa lettre, sous peine de voir Eleanor rompre à l’heure même cette union qu’elle accomplissait comme un pieux sacrifice, sans se douter que personne y pût voir un calcul intéressé.

Quand elle entra dans la salle basse lambrissée de sapins où se tenait volontiers la châtelaine de Glencarrick, elle ne put dissimuler quelque peu de surprise à la vue de cette dame, dont la taille et les proportions masculines, la raideur osseuse, les façons viriles, l’eussent moins déconcertée, si son accueil eût été plus cordial ; mais à peine lady Macfarren, qui avait rudement serré la main de son frère, daigna-t-elle accorder une demi-révérence à la belle-soeur qu’il lui présentait. D’avance elle l’avait, comme on dit, prise à guignon, et s’était promis de lui faire payer cher les bénéfices de son alliance avec une famille où elle n’entrait que par surprise et par fraude, sans y apporter ni le contingent de noblesse ni l’accroissement de fortune que l’on avait droit d’attendre d’elle.

— Vous paraissez fatiguée, lui dit-elle enfin, lui faisant signe d’approcher du feu… Vous êtes bien pâle.

— Je ne suis pas très fatiguée, reprit doucement Eleanor ; mais je n’ai jamais beaucoup de couleurs.

— Ah ! c’est différent. On nous disait que vous passiez à Londres pour une beauté !… Vous autres belles dames de Londres…

— J’ai fort peu habité Londres, interrompit lady Penrhyn.

— Bah !… Et quel âge avez-vous ?

— Dix-sept ans.

— C’est singulier… Vous paraissez davantage… A présent que vous êtes mariée, vous pourriez dire tout au juste ce qui en est.

— J’ai eu dix-sept ans en août dernier ; répliqua Eleanor, que cet