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— Excusez-moi, répondit lady Raymond… Je ne savais pas… La surprise… Tout ceci me semble si nouveau…

— En tout cas, reprit lady Macfarren, si vous êtes étonnée, je le suis au moins autant que vous… Et voilà de quoi vous consoler… Maintenant il est tard… montons chacun chez nous.

Quand sir Stephen et sa femme furent seuls :

— Je voudrais, lui dit-il, que votre mère évitât avec soin tout ce qui peut blesser ma soeur.

Le regard étonné par lequel fut accueillie cette étrange recommandation rendit sir Stephen un peu honteux de lui-même, et, selon l’usage, il n’en fut pas pour cela de meilleure humeur.

— Oui, reprit-il avec impatience, il faudra tâcher que ces dames s’accommodent l’une de l’autre. Ma sœur est une femme très supérieure ; elle a l’orgueil de son sang et l’habitude de compter pour beaucoup dans nos décisions de famille. Mon mariage n’a pas eu, — la faute en est à certaines circonstances inutiles à rappeler, — son entière approbation. Par toutes ces raisons, sur lesquelles je glisse, mais que vous devez comprendre, il serait bien à vous et à votre mère de faire quelques concessions.

Des concessions ! Ce mot bizarre ne présentait à Eleanor aucun sens précis, et elle semblait en attendre le commentaire. Sir Stephen s’irritait de plus en plus, ne pouvant réussir à se faire entendre.

— Ma sœur est bonne quand elle veut, reprit-il- mais il ne faut pas l’affronter.

— L’affronter ?

— Oui, l’affronter… C’est assez clair, ce me semble… Elle n’aime pas à rencontrer trop d’indépendance… surtout quand… quand cette indépendance n’est pas de saison… Comprenez bien ceci,… faites-le comprendre à votre mère, et tout ira sur quatre roues.

— Dois-je penser que lady Macfarren peut se trouver offensée sans raisons ? demanda Eleanor après un silence de quelques instans.

— Sans raisons, je ne dis pas… Elle a toujours ses raisons… mais elle est fière. Vous l’avez irritée en lui répondant sur un ton que votre âge, à ses yeux, ne vous permettait pas de prendre.

— Mon âge ! se dit Eleanor ; mon âge ! et sans doute aussi ces autres motifs qui font que toute indépendance est chez moi hors de saison. — Car elle avait compris les paroles et surtout l’hésitation de son mari. Pour la première fois, elle venait de se dire qu’en effet elle lui devait, ainsi que sa mère, d’échapper à ce que le monde appelle la pauvreté. — Mais enfin, pensait-elle aussi, lui ai-je demandé sa main comme une aumône ? l’aurais-je acceptée à ce titre ? Cet amour qu’il me témoignait, l’ai-je souhaité ? Puisqu’il m’a choisie et voulue pour sa femme, que sa sœur approuve ou non ce mariage, ne me doit-il pas tendresse