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peine en me laissant vous présenter, sous votre vrai nom, à sir Stephen ?

— Je le voudrais, puisque vous le désirez ; mais je ne le pourrais vraiment pas. Ma situation serait intolérable. Et à quoi bon d’ailleurs ? Quand je l’aurai vu, quand tout sera réglé, ne faut-il pas que je parte ?

— Qui vous y force ?

— J’ai traversé l’Atlantique avec une seule pensée : celle de vous revoir, de vous revoir, libre enfin de ce fardeau d’infamie qui, tant d’années, a fatigué ma poitrine. Je vous l’ai dit, Eleanor, je vous l’ai dit le jour même de mon arrivée, mon départ ne peut être ajourné long-temps. Mon pays, mon chez moi ne sont plus ici. Dieu sait où ils sont !…

Eleanor, attendrie, posa sa main sur celle de David.

— Ne voyez-vous pas, lui dit-elle, combien vous ajouteriez de bonheur à votre vie, si vous pouviez passer sur cette fausse honte que vous attachez, je ne sais pourquoi, au nom qui est le vôtre ? Cette honte, qu’a-t-elle de fondé ? Comptez-vous pour rien mes biens restitués ? Huit années de souffrances et de pénurie, les comptez-vous pour rien ? Fiez-vous-en aux autres comme à moi pour peser équitablement ces choses, et ne pas vous voir autrement que vous ne méritez d’être vu. Tout le monde, croyez-moi, n’est pas fait comme lady Macfarren ou comme Tib Christison. Si vous restiez, qui nous empêcherait de nous voir, de nous rencontrer à Lanark’s Lodge, à Londres, partout, et souvent, et presque chaque jour ? Vous redeviendriez mon meilleur ami, mon tuteur, comme autrefois. Pensez-y, pensez à tout cela !… Ne voulez-vous plus être dans ma vie qu’un rêve pénible, comme pendant ces huit mortelles années ? Et puis, — songez encore à ceci, — j’ai peur, vraiment peur du retour de mon mari. De ma vie je n’ai eu de secret à garder… Celui-ci me remplit d’effroi… il m’accable, il m’énerve…

— Ah ! ne parlez pas ainsi, chère Eleanor. Ce secret ne saurait être, en comptant bien, que le second tout au plus. Il en est un autre que vous avez bien caché, même à moi.

— A vous ?… oh ! jamais !… Et elle leva les yeux vers les siens comme pour lui montrer leur transparence innocente, et combien peu le mystère pouvait s’abriter dans leurs limpides profondeurs ; mais David Stuart lui prit les deux mains par un geste familier.

— Vous allez donc me dire, et sur-le-champ, reprit-il avec un sourire attristé, le nom qui faillit vous échapper, il y a bien long-temps, le jour qui précéda mon départ. Qui avait su gagner ce jeune cœur ? Sur qui se sont perdus tant de chers sentimens, tant de vœux maintenant oubliés ? L’avez-vous beaucoup regretté ? A-t-il compris tout ce qu’il perdait ?… Qui donc aimiez-vous ?… Qui pensiez-vous aimer ?…

Sous le regard qui la poursuivait, Eleanor semblait se replier comme la sensitive… Ces questions pressées, ces tremblantes étreintes, elle