Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/873

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que jamais ; et enfin, en plein soleil, au milieu de la grande allée, un épais buisson d’églantier sauvage.

Quand Eleanor et David passèrent ensemble auprès de cet églantier, il cueillit une petite branche dont l’extrémité s’offrait à sa main, et ce simple mouvement le rappela si vite et si bien au temps dont les souvenirs l’assiégeaient déjà de tous côtés, qu’il n’y put tenir davantage. La main qu’il avait étendue vers l’arbuste retomba inerte à son côté. Il détourna la tête, s’appuya un moment contre un grillage, et laissa échapper une espèce de gémissement.

Fort heureusement, à ce moment-là même, chacun des promeneurs était occupé à sa manière. La duchesse assortissait un bouquet ; lady Macfarren prenait des notes sur ce que pouvait valoir, à Dunleath, le droit de chasse ; Tib, par habitude, inspectait et grondait ; Eleanor seule vit ce geste douloureux, et tout disparut aussitôt pour elle en ce bas monde, tout ce qui n’était pas cet homme et son chagrin. Elle prit sa main, la posa sur son cœur, et doucement inclinée sur cette main qu’elle tenait ainsi

— David Stuartl dit-elle, David, mon ami ! cher, bien cher David ! Mais ce fut un éclair. Lady Macfarren et Tib accouraient par deux allées différentes.

— Quelqu’un, disaient-elles, quelqu’un dans le jardin… du côté de l’autel antique.

C’était un débris classique, rapporté de Grèce lorsque les marbres d’Elgin étaient à la mode. Oubliant qu’il ne devait pas savoir où il s’élevait, David emmena machinalement Eleanor de ce côté. En effet, au pied de cet autel, transformé en cadran solaire, une jeune dame se tenait debout, une jeune mère sans doute, et sa fille encore enfant.

À la vue d’Eleanor, cette enfant pousse un cri de joie. La jeune femme se retourne et vient se jeter au cou de lady Penrhyn

— Mon frère ! s’écrie-t-elle, saluant de ce cri le duc de Lanark, qui hâte le pas pour venir l’embrasser. Tib, la duchesse, lady Macfarren, l’ont reconnue à la fois : c’est lady Margaret, arrivée à l’improviste.

Tandis qu’elle explique, en mots entrecoupés, sa résolution subite, son voyage improvisé, sa traversée, son débarquement, et comment elle a traversé l’Angleterre sans faire halte, sans prévenir qui que ce soit, elle s’arrête tout à coup, la respiration semble lui manquer, ses lèvres de corail s’entr’ouvrent, ses yeux s’arrêtent sur le prétendu négociant de Québec ; puis elle s’avance vers lui, saisit ses deux mains avec un joyeux empressement, et à la stupéfaction de tous

— Je ne vous savais pas vivant, je ne vous savais pas en Angleterre, lui dit-elle. Sans doute quelque lettre perdue… Ah ! David, vous ne sauriez croire combien cette résurrection, combien ce retour me rendent heureuse.

Ce seul mot : David ! avait tout expliqué. La pâleur d’Eleanor, les